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ANNIBAL CARRACHE.

sarcophages et les bas-reliefs qui remplissaient le palais de Farnèse et les autres édifices de Rome ? On doit regretter qu’il n’ait eu sous les yeux que les copies quelquefois médiocres et souvent restaurées maladroitement des grandes productions de la Grèce, ou même de simples restes de l’art gréco-romain. S’il avait eu la bonne fortune de pouvoir contempler et dessiner les marbres du Parthénon, il est probable qu’il aurait laissé derrière lui des œuvres d’une tout autre portée.

Ce sont, dans la frise, les quatre tableaux à cadres dorés qui commandent l’attention. Censés accrochés à la muraille, ils demeurent étrangers à la construction de la Galerie : c’est donc à juste titre que Carrache les a traités comme des toiles indépendantes, sans recourir, toutefois, à des oppositions trop marquées. Il faut une observation minutieuse pour y relever la présence d’ombres plus accentuées, un usage plus fréquent du clair-obscur. De ces quatre tableaux, trois sont consacrés aux amours de Galatée, la fille de l’Océan paisible aux reflets verdâtres. Le premier montre Polyphème assis sur un rocher au pied duquel le flot vient mourir, dans l’attitude que lui prête Théocrite, dans la onzième de ses idylles. Il joue de la flûte de Pan pour amollir le cœur de la néréide qui, assise avec deux nymphes dans une coquille traînée par un dauphin, semble prêter une oreille attentive à l’étrange mélodie. Tout l’intérêt se concentre sur le cyclope. Sous l’empire de la passion qui le dévore, il s’efforce d’adoucir son aspect farouche. Ce n’est plus le monstre impitoyable, ennemi des mortels, que chante Homère dans l’Odyssée. La pose a quelque chose d’abandonné. Visiblement, il fait des prodiges pour se rendre aimable ; mais c’est en vain que le fils de Neptune cherche à dépouiller sa nature sauvage. S’il n’est pas ridicule, c’est que le sang d’un dieu coule dans ses veines. Il ne réussit qu’à surprendre Galatée au moment où elle prodigue au berger Acis les marques non équivoques d’un amour partagé. La tendresse de Polyphème se change aussitôt en fureur. Le second tableau le présente au moment où il va lancer, contre les amans qui s’enfuient, un énorme quartier de roche. Le géant n’a pas encore eu le malheur de rencontrer l’artificieux Ulysse : son œil unique est largement ouvert, le pauvre Acis va en faire incessamment l’expérience à ses dépens.

Ces deux compositions qui se font vis-à-vis, aux deux extrémités de la galerie, sont traitées avec une simplicité n’excluant