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Mercure, « il reçut les mêmes applaudissemens, et partout les mêmes honneurs qu’on a coutume de faire aux ambassadeurs des rois. »

Il y avait cependant une puissance dont cette exaltation des ducs de Savoie ne faisait pas-le compte : c’était la République de Venise. « Cette république, dit Sainctot, était bien regardée comme tête couronnée, mais la dernière de toutes. » Aussi n’était-ce point un prince, mais un maréchal de France qui accompagnait l’ambassadeur vénitien à sa première audience publique et à son audience de congé. La République de Venise était alors représentée par Erizzo, esprit sagace auquel on doit d’intéressantes dépêches, mais, dit Sainctot, « le plus vétilleux des ambassadeurs sur les questions d’étiquette. » Aussi, lorsque vint pour lui le moment de demander son audience de congé, ne man-qua-t-il pas d’adresser au Roi un long et dolent mémoire, dont on trouve la copie dans Sainctot[1]. Il se plaint de cet avantage fait au duc de Savoie, « qui le met si notablement au-dessus de la République de Venise, alors qu’il lui est si inférieur en forces, en titres et en dignités. » « Il n’est pas malaisé de comprendre, ajoute Erizzo, qu’il est bien dur à cette République de voir qu’un prince qui sort d’une guerre qu’il a faite à la France en remporte pour prix un si grand avantage, et qu’au contraire une République, toujours ferme et constante dans l’amitié et dans l’attachement qu’elle a pour Sa Majesté, se voit refuser un honneur qui ne la rend pas seulement inégale dans la cour de France aux autres couronnes, mais même au duc de Savoye. »

Les justes doléances de cette fidèle alliée ne trouvèrent point Louis XIV insensible : Sainctot nous apprend en effet que « ce Mémoire eut l’effet que l’ambassadeur souhaitoit du Roi. Il lui accorda l’honneur que les têtes couronnées ont d’avoir un prince, qu’il eut à son audience de congé. » Ainsi se trouva résolue, à la satisfaction générale, cette question d’étiquette qui préoccupait si fort la cour de Turin et la République de Venise, mais dont nous avons quelque peine à comprendre l’importance. Il est vrai qu’aujourd’hui, il n’y a plus ni République de Venise, ni Cour de France, et que c’est un représentant de la République française qui jouit à la cour de l’héritier de Victor-Amédée du traitement d’ambassadeur d’une tête couronnée.

Au rebours de Ferreiro, Briord n’était point, comme on dit

  1. Bibliothèque de l’Arsenal. Mémoires de Sainctot, t. II, p. 123.