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Ce nouvel ambassadeur, Phelypeaux, était, comme Briord, un tard venu dans la carrière diplomatique. Il était maréchal de camp lorsqu’il fut envoyé à Cologne, en 1697, auprès de l’Electeur, et de là à Turin où il fut nommé sur place lieutenant général en 1702. « C’étoit, dit Saint-Simon, un grand homme, bien fait, de beaucoup d’esprit et de lecture, naturellement éloquent, satirique, la parole fort à la main, avec des traits et beaucoup d’agrément, et, quand il le falloit, de force…, mais particulier et fort singulier, d’un commerce charmant quand il vouloit plaire et qu’il se plaisoit avec les gens, d’ailleurs épineux, difficile, avantageux et railleur[1]. »

Avec ces qualités et ces défauts, Phelypeaux n’était pas l’homme qu’il fallait pour remplir une mission aussi délicate. Là où un peu d’adresse et de souplesse eût été nécessaire, il voulut employer la hauteur et l’autorité. Aussi ne devait-il rien obtenir. Victor-Amédée avait déjà fait savoir par Vernon son refus de signer un traité cosi nudo, « d’autant plus, disait Vernon à Torcy un peu embarrassé, que son Altesse Royale avoit eu lieu d’espérer que ses intérêts ne seraient pas sacrifiés[2]. » Aux instances de plus en plus pressantes de Phelypeaux, il se dérobait en répondant ironiquement qu’il était « un trop petit prince pour entrer dans une aussy grande affaire dont on n’avoit jugé à propos de luy donner part ni portion[3]. » Mais l’humilité de ce prince artificieux, comme l’appelle Phelypeaux, cachait un profond ressentiment ; et il s’abandonnait en son particulier à des mouvemens et à des transports de colère dont Phelypeaux croyait devoir informer le Roi. En même temps le bruit se répandait de plus en plus qu’il était en train de nouer des intelligences avec l’Empereur. A une question directe de Phelypeaux, Victor-Amédée répondait d’un air triste : « Hélas, monsieur, je n’ay aucun engagement et n’en veux jamais prendre[4]. » Mais Louis XIV n’en redoutait pas moins une défection analogue à celle qui, quatorze années auparavant, avait jeté la Savoie du côté de l’Empire. Soucieux de ne pas retomber dans la faute autrefois commise par lui-même et par Louvois, il sent la nécessité de s’assurer, par quelques concessions, l’appui et l’adhésion de ce « petit prince » qui n’en tenait

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XII, p. 128.
  2. Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, mazzo 128. Vernon à Victor-Amédée.
  3. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 106. Phelypeaux au Roi, 28 août 1700.
  4. Ibid., Phelypeaux au Roi. 3 juillet 1700.