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Mais l’amour des combats trempa son âme de souplesse et de fermeté. Fils et filles de samuraïs étaient élevés à la dure, les uns maniant le sabre, les autres la lance. Dans le programme de leur éducation, la pensée de la mort jouait un tel rôle qu’on leur enseignait le cérémonial du suicide. A l’âge où les séductions de la vie sollicitent le cœur et les sens, les jeunes gens apprenaient dans quelle altitude et suivant quels rites une personne bien née devait s’ouvrir le ventre. D’aucuns même y témoignèrent d’une épouvantable précocité. Je ne crois pas qu’il eût plus de sept ans, ce petit Japonais dont on raconte l’histoire suivante : Des meurtriers dépêchés contre son père et abusés par une ressemblance rapportèrent à leur maître une tête dont personne ne pouvait dire si elle était celle du coupable. Le seigneur envoya chercher l’enfant et la lui découvrit. Celui-ci, comprenant l’erreur et la nécessité d’y fortifier les assassins, dégaina le poignard que dès leur jeune âge portaient les fils de samuraïs, et, pour donner à son silencieux mensonge l’irréfutable autorité du désespoir, tomba, les entrailles coupées, devant la face sanglante.

Nul peuple ne s’enfonça plus avant dans le culte de la mort. Si le bouddhisme, qui réprouve le suicide et n’y voit qu’un subterfuge assez puéril de l’homme envers la destinée, tendait cependant à leur rendre plus légères les attaches du monde extérieur, ce fut surtout aux doctrines de Confucius que les Japonais durent ce lugubre penchant. La mort n’était point à leurs yeux une libératrice. L’idée qu’elle leur assurât une vie heureuse en échange de leur dernier soupir leur eût répugné à l’égal d’un marchandage. Ils ne tirèrent de la philosophie confucéenne que les rudimens d’un positivisme impératif. Le vieux sage, qui, dégoûté du bouddhisme, avait mis en garde contre les spéculations du rêve, exalta jusqu’à la vertu leur impuissance philosophique. Ils renchérirent par-dessus ce professeur de morale, et, trop fiers pour interroger qui se tait, considérant même comme une inconvenance de scruter les ténèbres de la tombe, ils ne demandaient à la mort qu’une attestation d’honneur satisfait et de devoir accompli. Elle dépouilla pour eux son appareil de douleur et d’anxiété. Ils la vidèrent de toute idée troublante et n’y mirent pas plus de volupté que dans l’amour. Leur âme n’y fut point emportée par une sorte de vertige. Ils en firent une habitude, une institution, le dénouement normal des difficultés de la vie. Un samuraï avait-il égaré le dépôt de son maître ? Il se tuait. Le maître l’avait-il offensé