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Remontez vers le nord : montagnes, forêts, volcans, une nature tourmentée dans sa douceur sauvage ; quels nids de vautours, quels repaires pour les insurrections ! A gauche, la presqu’île de Hizen ; devant vous, le détroit de Shimonosaki, gardé par le prince de Choshiu, un vaincu, lui aussi. Ses deux provinces commandent la Mer Intérieure. Ses sujets ne sont pas moins glorieux ni moins particuliers que ceux de Satsuma, mais les effluves du Japon central les ont touchés. Ils ont du goût, une intelligence vive, une parole artificieuse. Les Japonais revenus d’Europe vous disent : Satsuma, c’était Sparte ; Choshiu, Athènes.

A mesure qu’on s’en éloigne, les esprits sont plus dociles, les caractères moins tranchés ; et les flots méditerranéens semblent avoir une face humaine, tant ils ont réfléchi de visages héroïques et de divins fantômes. Cependant l’île de Shikoku, dont le rivage en limite l’azur, renferme encore une population singulière et qui, tournée vers l’inconnu du Pacifique, abritée par ses remparts de schiste, échappe à l’œil du maître. Les hommes de Tosa vivent dans le même décor que les Satsuma. Comme eux, ils contemplent le vide de la mer et se nourrissent de leur solitaire importance. Derrière eux, sur la grande île, — un continent pour ces Japonais deux fois insulaires, — le Yamato et les vieilles provinces où bat le cœur du Japon, ces champs de bataille apaisés, recommencent à faire courir des fils d’or dans la simple trame de leur vie. Kyoto, ville des Empereurs et des bonzes ; Nara, ancienne cour impériale, terre de lumière et d’art, et qui vaut l’italienne harmonie de son doux nom sonore !

Yeyasu est monté plus haut. Il a mis entre lui et l’empereur des montagnes qui ne se laissent franchir qu’au passage d’Hakoné. Il a bâti, à l’embouchure du Sumida Gawa, sa capitale de Yedo. Derrière lui, le Japon va s’amincissant jusqu’à la mer de Yeso ; c’est la plaine, puis des collines, des terres riches, puis des neiges, de longs hivers, une infinie sécurité. Le conquérant adossé à ce royaume, dont il a commis la garde à ses créatures, tient sous ses yeux le reste de l’Empire. Sa griffe s’est d’abord étendue sur des villes qu’il a retirées du partage et dont il fait ses villes shogunales : Nagasaki, dans le Kiushiu, le seul port où débarque l’Européen ; Osaka, où aboutit le commerce de la Mer Intérieure, la cité la plus riche du Japon, son grenier d’abondance. Satsuma, Choshiu, les clans extrêmes et belliqueux, il n’oserait y toucher, mais il s’applique à les circonscrire. Les nouveaux daïmios,