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devenu jaloux, exaspéré par l’amour-propre et la vanité blessée, cet homme discret, correct et froid se change en un fauve. Ce mélange d’indifférence et de férocité est la caractéristique de toute cette catégorie de maris. Mariée à un homme qui ne la comprend pas, Diane a le droit d’être comprise, et, puisque ce n’est pas par son mari, ce sera donc par un autre. Il ne manque pas de courtisans qui tournent autour de cette femme négligée par son mari. Diane les inscrit, chacun à la date de sa déclaration. Il y en a soixante et dix-huit, dit le texte d’Alexandre Dumas. Ce chiffre a paru insuffisant à la Comédie-Française qui l’a porté à cent trente-huit. Mais Diane de Lys a, comme toute femme ici-bas, droit à la passion. La passion est une frénésie. C’est en Paul Aubry qu’elle découvre, — enfin ! — le frénétique qu’il lui faut.

Celui-ci fait assez bonne figure, j’entends figure assez sombre, dans le bataillon des jeunes premiers romantiques. Une fatalité pèse sur lui. Il le sait, et cela explique l’habituelle tristesse de ce beau ténébreux. Il lui arrive de rire, de plaisanter, de fredonner une chanson ; mais cette gaieté n’est qu’apparente. Pour s’égayer à la manière des autres hommes, ce qui lui manque, c’est de leur ressembler. Il est différent du commun des mortels. Il est un être d’exception. C’est sa noblesse, et c’est sa souffrance. La passion le guette, et, du jour où elle se sera abattue sur lui, elle fera de lui sa proie. C’est pourquoi il ne veut pas aimer. Car, dit-il, « j’aimerais trop. » Telle est cette puissance obscure qu’il sent gronder en lui et qui l’effraie. Il est celui qui, s’étant penché sur un abîme, en garde l’épouvante. Il est celui qui porte dans ses mains un explosif dont il connaît la violence, et qui se méfie. Ce qui le rattache encore à la grande famille des héros romantiques, c’est cette impertinence qu’il croit de haut goût. Ce grossier personnage cause à peine depuis quelques minutes avec une femme à qui on vient de le présenter : il a déjà trouvé le temps de l’insulter en lui parlant de l’amant qu’elle doit avoir. Déclamateur incorrigible, il abonde en sottises pompeuses. « Et moi qui croyais que la noblesse du nom faisait la noblesse du cœur, que la pureté du sang faisait la pureté de l’âme, et qu’une grande dame ne mentait pas !… » Mais pourquoi les grandes dames ne mentiraient-elles pas ? Et depuis quand y a-t-il un monopole du mensonge réservé aux classes inférieures ? Ah ! l’imbécile ! dupe de ses grands mots, de ses airs tragiques, de la pâleur étudiée de son teint et de ce masque de carême qu’il aperçoit avec satisfaction dans sa glace !

Afin qu’il ne lui manque aucune séduction, Paul Aubry est un artiste. Et, l’artiste étant l’antithèse du bourgeois, c’est assez dire