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d’autres liens que le simple intérêt matériel : certaines idées, certaines passions leur étaient communes. D’abord, ils étaient foncièrement antichrétiens. À cet égard, les hauts sectaires de l’Institut ne pensaient pas autrement que les bas prêtrophobes des administrations et des assemblées. Pendant la Terreur, la guerre à la religion n’avait été qu’une sanglante saturnale ; sous le régime de l’an III, elle s’organisa, se raffina. La liberté des cultes, proclamée en principe, fut anéantie par des procédés tour à tour violens et sournois. Pour mieux détruire la religion, on essaya de la remplacer. L’Institut s’efforçait à tirer de sa doctrine un ensemble de préceptes formant règle de vie ; c’était à quoi Bonaparte faisait allusion, quand il disait, voulant flatter ses confrères : « Je suis de la religion de l’Institut. » Le gouvernement favorisait la théophilanthropie, qui faisait rire le peuple, et inventa le culte décadaire, qui l’ennuyait. Dans son effort contre le catholicisme, il se heurtait à une résistance qui l’indignait et le déconcertait, à l’attachement irréductible des masses pour leurs vieilles et nationales croyances ; car la Révolution avait bouleversé la France, mais ne l’avait point changée.

Les révolutionnaires nantis avaient aussi la haine profonde des anciens nobles ; ils avaient eu beau proscrire et ruiner ces hommes, s’acharner contre eux et les disperser, misérables, aux quatre coins de l’Europe, ils n’arrivaient pas à ne plus les envier. Ils détestaient d’autant plus l’ex-classe dirigeante qu’ils aspiraient à en former une. En politique, ils affichaient certains principes effrontément méconnus dans la pratique, souveraineté absolue du peuple, système représentatif, séparation des pouvoirs, élection et renouvellement fréquent des collectivités gouvernantes. Au fond, beaucoup n’étaient rien moins que républicains. Leur arrière-pensée, leur obsession secrète, était de donner plus de stabilité à leur oligarchie en plaçant au sommet un roi choisi dans une dynastie étrangère ou dans la branche cadette, un roi qui ne serait pas le roi, qui serait leur créature et gouvernerait pour eux, par eux, avec des régicides comme pairs du royaume. Un tel établissement, qui consoliderait leur pouvoir et les ferait inamovibles, leur paraissait un abri plus sûr qu’une république inconsistante et précaire.

Odieux à la majorité des Français, condamnés par l’opinion, ils avaient à combattre, comme partis plus ou moins organisés, les vrais modérés d’abord, les républicains libéraux ; puis, toutes les