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les gros banquiers, ceux qui avaient eu les reins assez solides pour supporter la crise des assignats, qui avaient alors dominé le marché et gouverné les cours, étaient arrivés à ranimer quelque mouvement d’affaires. Méprisant le régime établi, les possesseurs de capitaux mobiliers s’en accommodaient néanmoins, parce qu’ils le dominaient et l’opprimaient ; c’étaient eux les rois du jour, et voici qu’à leur tour ces enrichis deviennent suspects, au moins autant que les riches de naissance, dix fois taxés et frappés. Cette espèce de ploutocratie révolutionnaire se voit à son tour signalée, désignée aux pires traitemens, par suite jetée violemment dans l’opposition. Après avoir détruit l’ancienne richesse territoriale, après avoir ruiné les rentiers, qui étaient eux-mêmes des ci-devant et tenaient leurs titres du régime déchu, la Révolution s’en prend maintenant aux fortunes qu’elle a laissées se faire ou s’accroître ; elle s’attaque à une foule d’intérêts matériels dont le sort s’est jusqu’à présent confondu avec le sien et met contre soi cette force ; il y a là un fait nouveau, très important, qui exercera sur les destinées finales du régime une influence réelle.

Dès les premiers jours de prairial, la tribune des Cinq-Cents retentit des imprécations jacobines contre les agens et ministres concussionnaires ; c’était la lutte des violens contre les pourris. Si les premiers arrivaient à former une majorité, on irait à un choc redoutable, car la constitution, qui n’avait pas établi la responsabilité ministérielle, ne donnait aux Chambres aucune prise légale sur le gouvernement et refusait d’autre part à l’exécutif le droit de dissolution ; en cas de conflit entre les deux pouvoirs, elle les acculait à la violence. Le 17, le Conseil vota une adresse aux Français, stigmatisant les abus et annonçant un système d’inquisition sévère. Les Jacobins firent aussi prononcer l’affranchissement de la presse, sous couleur de revenir aux principes. On abrogea la loi du 19 fructidor an V, renouvelée en l’an VI, qui avait établi la censure, mais les Conseils ne purent jamais s’entendre pour la remplacer par une loi sur les délits de presse ; c’était faire succéder à un régime de compression l’absolue licence.

Sur ces entrefaites, Siéyès arriva de Berlin. Sa venue fut annoncée au peuple, comme un événement, par douze coups de canon. Dès son installation au Luxembourg, il s’isola de ses collègues, dont il avait été complice en fructidor, mais qu’il jugeait irrévocablement perdus ; haïssant les Jacobins, dont il avait