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Moulins le disait à Cambacérès, dont il était actuellement le supérieur, et se recommandait pour l’avenir à la protection de son subordonné.

Les ministres se voyaient peu et se tenaient mutuellement en défiance, écrasés d’ailleurs de besogne. Robert Lindet « s’abîmait dans le gouffre des finances. » Cambacérès avait tout à faire pour remettre un peu d’ordre dans son département. Bernadotte travaillait infatigablement et parlait encore plus. Ses proclamations, ses circulaires, ses appels « aux camarades, » font un curieux monument d’éloquence révolutionnaire et gasconne. Il montrait en réalité de remarquables qualités d’intelligence et d’entrain, s’évertuait à hâter la formation des recrues, à recréer des armées, à recréer un matériel, à ragaillardir le moral des officiers et des troupes ; contre le chaos de difficultés qui s’élevait devant lui, il s’acharnait de toute sa remuante et bourdonnante activité. Mais les administrations le secondaient mal : les bureaux étaient « une fourmilière indescriptible de fripons ou de fainéans. » En province, les autorités se dérobaient à toute décision, inertes ou affolées : des bruits alarmans couraient « sur la situation politique de Paris et la dissolution du gouvernement républicain. »

La presse démuselée s’était jetée tout de suite aux extrêmes violences. A côté des journaux de droite ressuscites en masse, diffamant le gouverne nient à outrance et trouvant moyen de le calomnier, le Journal des Hommes libres s’était fait le moniteur officiel du jacobinisme ; on le surnomma le Journal des Tigres ; il traitait ses adversaires de « feuillistes d’infamie. » Avec quelques autres de son espèce, il rappelait les pires journaux de 1793 ; c’était le même ton populacier, la même persévérance dans l’insulte, la même manie dénonciatrice. Quiconque avait part aux affaires fut traîné dans la boue ; aucune réputation ne fut plus à l’abri. Les hommes les plus attachés aux principes de liberté, le vertueux Cabanis entre autres, s’épouvantaient devant « ce torrent qui menaçait de tout engloutir. »

A côté des journaux, des brochures pullulent, circulent à grand fracas dans les rues, annonçant la décomposition de tout et la fin du régime : le Testament de la République, et ça va mal ; Quatre pendus et un cinquième qui file sa corde ; l’Ancien Directoire nous vendait, le nouveau nous fera pendre. La police les saisit, le jury les acquitte ; d’autres paraissent. Aux abords du Palais-Bourbon,