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vieux habits. » Ainsi accoutrés, coiffés du chapeau tromblon à larges bords, la grosse cravate de batiste moussant sous le menton, le gourdin ou la « canne à dard » sous le bras, les pistolets en poche, ils se remirent en campagne contre la bande jacobine, agressifs et batailleurs.

D’après des témoignages minutieux, il est facile de se figurer Paris pendant ces jours de petite guerre, qui fit plus de peur que de mal. Les « jeunes gens » ont leur quartier général au Palais-Égalité, ci-devant Palais-Royal. Parcourant les galeries tumultueuses, enfiévrées, regorgeant de filles et d’industries interlopes, ils se groupent, s’animent en lançant contre leurs adversaires des mots cinglans et des sarcasmes ; puis, par la rue Honoré et le fouillis des ruelles, ils se portent en colonnes pressées vers l’endroit où les Jacobins dressent leurs remontrances furibondes et accomplissent leurs rites, injurient et pontifient.

Le 22, les Jacobins ayant planté solennellement un arbre de la Liberté dans la cour du Manège, les rixes commencèrent. Le lendemain soir, une foule houleuse occupait les abords de la salle, la terrasse des Feuillans, l’allée des orangers située en contre-bas. La séance levée, comme les sociétaires sortaient en chantant des airs patriotiques, une formidable bordée de sifflets et de huées les accueillit ; on leur lança des pierres ; une forte bousculade s’ensuivit. Au cri de : « A bas les chouans ! » répondaient ceux-ci : « A bas la guillotine, à bas les Jacobins ! » et tout à coup des « Vive le roi ! » percèrent. Le jardin s’emplissait de tumulte ; les bourgeois venus pour prendre le frais, les promeneuses en long fourreau de gaze, à chapeau fleuri, se sauvaient de tous côtés ; dans les allées, c’était une déroute d’hommes, de femmes et d’enfans « se culbutant les uns les autres. » La garde du Corps législatif sortit et tomba sur les manifestans. Vingt-huit furent arrêtés pour cris royalistes. C’étaient moins des ex-nobles que de jeunes bourgeois, voire même des gens de petit commerce et de boutique.

Les soirs suivans, le tumulte se renouvela, à la grande désolation des promeneurs et de leurs familles, « qui se retiraient de fort mauvaise humeur. » Les autorités crurent devoir prendre des mesures militaires, consignèrent une partie des troupes, firent venir aux Tuileries deux pièces de 4. Il n’y avait pourtant que des échanges de coups de canne, des horions, des luttes de gros mots, parfois des gamineries : sur une tente dressée au-devant