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du Manège, les Jacobins avaient érigé un superbe bonnet rouge ; on le surmonta d’une couronne royale. Le 24 messidor, au plus fort des violences, la pluie survint heureusement et noya la bagarre.

Dans le reste de la ville, les deux partis manifestaient ; çà et là des figures sinistres, des figures de 93, commençaient à reparaître ; ailleurs, les bandes adverses parcouraient les rues, criant et chantant. La journée du 24 fut particulièrement agitée. Autour de la Porte Martin, des attroupemens jacobins se forment ; il faut de la cavalerie pour les dissiper. Sur le boulevard Italien, à l’endroit dit Coblence, lieu élégant et contre-révolutionnaire, où les restes de l’ancienne société tiennent séance chaque jour sur une quadruple rangée de chaises, un rassemblement entonne le Réveil du peuple, l’air proscrit, la Marseillaise de la réaction. Le soir, dans les rues Feydeau, des Colonnes et de la Loi, des individus passent courant à toutes jambes et criant : « Main-forte contre les terroristes ! » Il n’en faut pas plus pour glacer d’effroi tout le quartier et faire fermer les boutiques : « L’épouvante gagne, disent les rapports de police, et quantité de citoyens se disposent à se retirer à la campagne. » Et les moins mécontens n’étaient pas les vrais ouvriers, les travailleurs, ceux qui formaient la grosse masse prolétaire. Autant que les chevaliers de la réaction, les Jacobins s’étaient rendus odieux à cette population malheureuse, qui demandait avant tout sécurité et repos.

A la fin, le Conseil des Anciens jugea intolérable qu’une secte prétendît établir à ses portes, chez lui, contre lui, un foyer de troubles. Le Manège, comme tous les locaux et jardins dépendant des Tuileries, était placé sous la surveillance des inspecteurs de la salle, sorte de questeurs, députés investis par leurs collègues d’attributions étendues en matière de juridiction et de police. Par délégation de l’assemblée, la commission des inspecteurs signifia aux Jacobins qu’ils eussent à délibérer ailleurs ; ils passèrent alors la Seine et transportèrent rue du Bac, dans l’ancienne église des Jacobins de Saint-Thomas-d’Aquin, leurs tumultueuses assises.

L’opinion publique les prenait de plus en plus à partie. Une nuée de libelles s’acharnait sur cette engeance, à coups d’invectives et de quolibets : Pendez les Jacobins, ce sont des scélérats ; horrible conspiration, liste des chefs. Et les publicistes sérieux attaquaient dans son principe la liberté d’association et de réunion,