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de ces grands garçons. Ils ne se soucient d’ailleurs que de gymnastique et d’exercice militaire, fument, jurent, boivent, promettant sous ce rapport, quoiqu’ils soient de l’étoffe dont on fait les officiers, de rivaliser avec tous les « Tommys » du monde.

Aucun lecteur français arrivé à l’âge d’homme ne pourrait aller, croyons-nous, jusqu’à la fin de Stalky ; nous ne nous arrêterons donc pas à cette erreur du professeur d’énergie. En revanche, le moment semble bien choisi pour relire la partie militaire de l’œuvre de Kipling. Elle se compose de nouvelles, brèves comme toutes les autres et belles parmi les plus belles, qui s’égrènent en désordre et sans suite parmi d’autres récits où fleurit et bruit la jungle, où vivent les Hindous de basse caste, les métis à demi européanisés, les fonctionnaires civils, les fringantes amazones de Simla et autres lieux, toute la population anglo-indienne en un mot, sans parler de certains personnages fantastiques qui côtoient le mythe. Rudyard Kipling, en possession de matériaux si variés, qu’il connaissait mieux que personne, évoque souvent les mêmes figures ; elles passent et repassent, faisant songer à la Comédie humaine, comme une suite de photographies instantanées peut rappeler une galerie de tableaux.

Nous nous bornerons aux scènes de bataille et de caserne. En attendant que soit écrite d’une plume trempée dans le feu et dans le sang l’épopée du Transvaal, c’est encore Plain tales from the hills, Soldiers three, Mine own peuple, Many inventions, Barrack room ballads, qui apprennent le mieux à connaître l’armée anglaise avec ses qualités, ses tares, ses faiblesses, avec les désavantages surtout qu’il peut y avoir aujourd’hui à être une armée de mercenaires commandée par des officiers commissionnés. Le service obligatoire qui existe partout, sauf en Angleterre et aux États-Unis, s’imposera fatalement de plus en plus, tant que les hommes continueront à s’entre-égorger par la volonté des gouvernemens, sans que les églises même y trouvent à redire, puisque l’archevêque Alexander, primat d’Irlande, poète à ses heures, est, sur ce point, d’accord avec Rudyard Kipling. Écoutez-le plutôt :


Voyant combien se forment noblement les caractères — Sous la pluie rouge de la guerre, j’estime — Que celui qui fit les tempêtes et les tremblemens de terre — Fit peut-être aussi les batailles.


Triste conclusion, hélas, du congrès de la Paix ! Triste réponse à ce message généreux du Tsar qui fournit à Kipling, toujours prompt à la riposte, le sujet d’une légende : la Trêve de l’Ours.