Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/530

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un détachement tout entier. Il est vrai que ce sont des soldats libérés qui, leur service fini, retournent en Europe. D’après le règlement, ils font déjà partie de la réserve et, par conséquent, échappent aux punitions graves durant le transfert du cantonnement aux docks. Tout ce que peut faire le malheureux officier qui les conduit, c’est de les consigner, et le moyen de consigner quand il n’y a plus de caserne, partant plus de salle de police, puisqu’on est en déplacement ? Il reste donc à l’écart, sous sa tente, en affectant de ne rien entendre. Le bonheur veut que le chef des travaux du chemin de fer soit un ancien soldat fort avisé, qui sait ce que vaut le règlement. Avec le respect voulu, il engage son supérieur à s’en moquer. Il lui demande, pour le piquer au vif, s’il veut se laisser réduire à l’état lamentable d’un autre lieutenant qu’il a vu jadis en Égypte, sur un certain canal, débarquer de ses mains les bagages de leurs seigneuries de la troupe, lesquelles, assises sur le rivage, le regardaient en ricanant. — Des coups de poing, voilà ce qu’il faut, et la crapaudine ! — Le petit lieutenant, converti à la saine raison, applique, avec l’aide des sous-officiers, ce salutaire traitement aux deux principaux meneurs, et après cela personne ne fait plus de bruit. Les énergumènes de tout à l’heure se retirent sous leurs tentes comme des chacals, sauf ceux qui, dans la confortable attitude de la crapaudine, avec une cheville fichée en pleine mâchoire pour arrêter leurs jurons, recevront la rosée dégrisante d’une nuit froide. Jusqu’à l’embarquement, le petit officier, comprenant désormais son véritable devoir, les houspille tant et si bien qu’une fois à bord, ils l’acclament, ce qui ne s’est jamais vu de la part d’un détachement congédié. Dame ! ils ont découvert qu’il « a des boyaux. »

Disons vite, pour ne pas exagérer la brutalité du tableau, qu’il existe d’autres moyens, même pour un off’cer boy de prendre quelque ascendant sur des troupes anglaises. L’avantage de la nouvelle, comme nous la donne Kipling c’est de multiplier et de varier à l’infini les aperçus des caractères et de la vie. S’il est nécessaire, en présence des exigences toutes particulières que présente une armée coloniale, d’oublier parfois certaines clauses du règlement, il importe de ne jamais perdre de vue l’article fondamental qui enjoint de ne pas exiger seulement par le commandement, mais d’encourager aussi par l’exemple, la stricte exécution du devoir et la ferme résignation aux sacrifices inséparables du service. Le héros du récit plein d’émotion intitulé Rien qu’un