Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/640

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Acciaiuoli, ces puissans banquiers tenaient les finances du royaume de Sicile, comme celles de la papauté. Ils avaient à Naples un comptoir important, et, à Florence, l’homme qui se trouvait chef de la famille, quand Giotto peignit la chapelle de Santa-Croce, Ridolfo Bardi, fut, en même temps que l’agent de Robert, un Capitaine du Peuple, qui tira l’épée contre l’empereur Henri VII. Ainsi les deux chapelles où l’art toscan a le plus hautement célébré les saints de la maison d’Anjou appartenaient à deux familles engagées à fond dans le parti angevin. Saint Louis, roi de France, et saint Louis, évêque de Toulouse, avant d’être pour l’Italie des saints franciscains, ont été des saints guelfes.

Ces apparitions nimbées et armoriées s’emparaient des églises toscanes au nom de la même autorité qui ouvrait au représentant du roi de Sicile le palais du Podestà. Elles parlaient au peuple même de la cour magnifique qui mettait l’art de l’Italie au service du luxe de France ; elles évoquaient pour les esprits plus hardis le rêve de cette monarchie idéale, que Cino de Pistoia et Dante avaient naguère offerte à l’empereur Henri, et dont Convenevole de Prato et son élève Pétrarque saluèrent le représentant dans le roi Robert ; elles apparaissaient à tous, dans leur noblesse triomphante, comme le symbole de la puissance religieuse qui donnait au pieux roi de Naples, vassal du pape et protecteur des franciscains, l’hégémonie morale de toute l’Italie. Florence colonisait Naples avec ses banquiers et ses artistes ; Naples conquérait Florence par ses hommes d’armes et ses saints. Quand les peintres semaient les fleurs de lys d’or sur la chape du saint évêque ou le manteau du saint roi, ils reconnaissaient la domination spirituelle de la maison d’Anjou, comme l’écusson de Prato, semé de fleurs de lys et barré du lambel de gueules, rappelait que la ville toscane s’était donnée sans conditions au roi français de Sicile. Le saint Louis vêtu en moine que Simone Martini a peint dans la chapelle d’Assise se détache sur une tenture aux armes d’Anjou, comme si, derrière sa robe grise, un bras tenait déployé le pennon qui conduisit les lances du duc de Calabre contre Castruccio Castracani.

Il n’est pas indifférent, peut-être, pour l’histoire italienne du XIVe siècle, d’y remettre à leur vraie place ces deux personnages surnaturels, vicaires célestes du roi Robert en Toscane. Trouver encore aujourd’hui la maison d’Anjou représentée à Florence, aussi bien qu’à Naples, par deux saints, c’est mieux comprendre