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le fait de l’aristocratie. Une dame d’honneur de la reine d’Italie, la comtesse Marcello, avec le concours de quelques membres de la noblesse vénitienne, fonda un comité de patronage et ouvrit à Burano une école où l’on enseigna le point de Venise : le travail y fut bientôt en pleine activité. La Reine s’intéressa à cette œuvre, protégea l’école, et fit en faveur de cette industrie la plus chaleureuse propagande. La haute aristocratie reprit vite l’habitude des belles dentelles, et la condition des dentellières de Burano est actuellement des plus prospères[1].

A la même époque, la dentelle subit en Autriche une crise analogue. Dans les pays montagneux de l’Erz et du Riesengebirge, 20 000 dentellières se virent dépossédées par des mineurs sans travail, qui s’étaient mis à ce métier pour gagner leur vie ; les salaires, en même temps que le niveau artistique, baissèrent alors dans des proportions incroyables ; cette industrie semblait perdue. Une action parallèle de la Chambre de commerce de Prague et de l’aristocratie autrichienne en opéra le relèvement. Un comité de patronage fut créé, qui constitua trente autres comités régionaux aux fins d’encourager la vente de la dentelle et de fonder des écoles d’apprentissage. De leur côté, les dames de la noblesse formèrent une sorte de ligue qui, la première année, en 1876, acheta et revendit pour 53 000 florins de dentelles ; l’Impératrice prit la tête du mouvement et fit des commandes personnelles très importantes ; la Cour suivit. Des écoles professionnelles furent établies sur tous les points de l’empire ; le gouvernement institua, à l’Ecole d’art industriel (Kunstgewerbeschule), un cours de dessin sur dentelles et un atelier modèle pour perfectionner la technique de l’aiguille et du fuseau : des dentellières viennent là apprendre les procédés nouveaux, leurs frais de séjour sont assurés, et, quand leur instruction est suffisante, elles retournent dans leurs villages et font profiter les autres du savoir qu’elles ont acquis. Les résultats obtenus ont été magnifiques, la technique de cet art est aujourd’hui supérieure ; et, malgré la concurrence des machines, la dentelle, patronnée par l’aristocratie, est florissante en Autriche, où les élégantes

  1. Il en va de même en Angleterre, où la dentelle d’Honiton fut remise en faveur à l’instigation de la Reine, qui y subventionne une école professionnelle spéciale : l’article est devenu l’objet d’une demande continue. Voyez, sur la nécessité de relever le travail manuel, dans l’intérêt même de l’art, l’étude sur John Ruskin (Revue du 1er décembre 1895).