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sensation perçue : le moi a pris conscience d’une modification qui s’est produite. Le phénomène a passé du monde physique dans le monde de l’âme.

Les choses ne s’arrêtent point là. La perception devient à son tour le point de départ d’une série d’actes, jugement, comparaison, etc., qui s’enchaînent et révèlent l’intelligence. La volonté d’un acte approprié à la sensation perçue et conforme au jugement porté sur elle, — par exemple, la détermination d’écarter la cause d’une excitation douloureuse, — pourra naître dans l’esprit, et c’est par là que se terminera la scène.

C’est entre la perception et la détermination volontaire que se déroule le tableau des phénomènes psychiques, manifestations des facultés de l’âme. Ils relèvent de l’observation psychologique et échapperaient entièrement à la prise de la science objective si, précisément, ils n’avaient leurs correspondans dans le monde physique. Un fossé profond, peut-être un abîme infranchissable, sépare en effet le monde de l’âme du monde matériel. Mais on sait, du moins, qu’à toute manifestation de l’ordre psychique correspond, de l’autre côté du fossé, une manifestation de l’ordre physique, à savoir l’activité organique d’une partie de l’écorce cérébrale. Et réciproquement, à un fonctionnement organique déterminé correspond un fonctionnement psychique également déterminé. La notion de cette exacte correspondance entre la série des actes d’idéation et la série des actes purement physiologiques est le postulat de la psycho-physiologie contemporaine. C’est la conclusion de toutes les données de la science ancienne et de la science contemporaine : c’est le fruit des observations des philosophes, auxquelles Lucrèce avait déjà donné une expression si saisissante en montrant, dans une langue admirable, l’ascension et le déclin de l’intelligence attachés aux progrès et à la décadence du corps ; c’est le résultat des enseignemens de la médecine mentale et de toute la pathologie nerveuse.

On comprend l’importance de ce principe. Il ouvre à l’expérimentation physiologique le domaine de la psychologie. Il autorise toutes les espérances. L’existence d’une correspondance rigoureuse entre les états matériels et les états psychiques équivaut à l’établissement d’un pont qui serait jeté de la rive psychique à la rive physiologique ; ou plutôt elle le rend inutile. On peut espérer de connaître, un jour, les lois qui règlent les états matériels du cerveau, les relations qui existent entre eux, leurs enchaînemens