Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/737

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

malheureux, avec des insectes de tous les genres et sous la ligne ? Mériterions-nous jamais aucune pitié si cette image ne nous poursuivait pas ! A la fin de votre bel ouvrage, vous demandiez qu’on vous transportât sous un beau ciel où vous pourriez penser et sentir. Donnez donc à ces malheureux un air qu’ils puissent respirer, un air qui ne porte pas la mort avec lui. On s’inquiète de Billaud de Varennes, on veut le rappeler parmi nous, et ces deux hommes à qui l’on ne peut reprocher que les opinions qu’on leur suppose, ces hommes ne trouvent point de défenseur. Quel effet voulez-vous que produise notre république au dehors quand on lit cet ouvrage de Ramel où les faits racontés ont un si grand caractère d’évidence. Il faut être Français, il faut ne pas pouvoir rejeter sa part d’alliance avec son pays pour chercher des excuses et des explications au silence que les conseils gardent sur de telles atrocités. Je vous en prie, mon cher Garât, donnez-vous cette bonne action, faites revenir ces deux infortunés. Dans le cours de votre vie, ce souvenir vous tiendra douce et fidèle compagnie[1]. »

Le Directoire finit par autoriser le transfert à Oléron de Marbois et de Ladebat, mais par mesure individuelle et subreptice, sans que le bénéfice en fût étendu aux autres déportés ; c’était trop lui demander que d’implorer un acte d’audacieuse pitié. A Barras, Mme de Staël écrit : « C’est le moment de l’action et non du raisonnement, mais profitez donc du premier succès pour être modéré[2]. » Cette libérale parole n’éveille aucun écho dans le monde politique.

La persécution des prêtres s’est ralentie quelque peu ; elle n’a point cessé. Cent d’entre eux, détenus depuis longtemps à Rochefort, demandent pour grâce unique d’être jugés et invoquent naïvement « les droits de l’homme ; » le Directoire repousse leur requête. A l’égard des prêtres, il n’est point de droit ; la loi, c’est l’arbitraire organisé, car la loi veut depuis fructidor que tout prêtre, réfractaire ou soumis, puisse être déporté par simple arrêté motivé, par lettre de cachet directoriale. En beaucoup d’endroits, le culte restait supprimé par suppression de ses ministres ; ailleurs, il était l’objet de vexations ineptes. L’Église était torturée dans son chef ; le Pape Pie VI, enlevé de Rome et conduit en France, était traité « en otage ; » malade, mourant, il

  1. Archives de Coppet.
  2. Ibid.