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en lui laissant pleine latitude sur le choix des moyens ; il lui dépeindrait avec force les malheurs redoublés qui fondaient sur la France.

Paris n’avait obtenu sur la journée de Novi que des détails incomplets et atténués. Brusquement, le Journal des Hommes libres déchira les voiles, montra le désastre. On apprit bientôt qu’une armée anglo-russe, sous le commandement du duc d’York, venait de prendre terre en Hollande, au Helder ; la flotte batave s’était rendue ou plutôt livrée sans coup férir. Dans les dispositions du gouvernement et du peuple hollandais, tout était douteux ; en Belgique, tout restait hostile ; il suffirait que les troupes de Brune, opposées en hâte au duc d’York, éprouvassent un échec pour que la révolte se déclarât d’un bout à l’autre des départemens réunis et mît à découvert notre frontière du Nord ; le péril augmentait d’heure en heure.

La démagogie parisienne se remit alors à gronder terriblement, menaçant d’une forte explosion ; c’est l’habitude de ce parti que d’aggraver toute calamité nationale par une entreprise à l’intérieur : « La malveillance et la folie s’agitent, écrivait un Ancien, l’impatience et la peur les secondent. » Depuis le 30 prairial, il y avait crise permanente ; à la fin de fructidor, par répercussion des désastres extérieurs, la crise faillit aboutir à une subversion totale.

Le monde politique était dans l’effarement. Il y eut pendant quelques jours une sorte d’hésitation et de flottement dans les partis, chacun cherchant sa voie et préparant ses moyens. Des réunions de députés se tenaient à toute heure ; les groupes parlementaires se brisaient et se recomposaient, des pourparlers corrupteurs s’entamaient, les intrigues s’entre-croisaient. Sans agir d’ensemble, les chefs militaires et civils suivaient l’impulsion de leur nature et de leur humeur. Bernadotte passait des revues, paradait devant les troupes, inspectait à Courbevoie les conscrits en partance et leur adressait des allocutions vibrantes, avec des mots qui allaient au cœur de ces jeunes gens : « Mes enfans, il y a parmi vous de grands capitaines. C’est vous qui devez donner la paix à l’Europe. » Le brave Lefebvre, dans sa simplicité loyale, ne concevait pas que les républicains ne pussent s’unir pour sauver la république ; il tâchait de rapprocher des factions inconciliables. Barras consentait à voir Jourdan ; ce général fourvoyé dans la politique venait au Luxembourg en