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Anglais étaient gens, s’ils avaient déjà planté là leur drapeau, à réclamer la Grande-Terre comme une dépendance de la petite île, et l’amiral, pénétré de ses instructions, ne voulait pas d’affaires... Au moment où la rade se découvrit aux yeux des Français, une corvette de guerre britannique y était à l’ancre. Arrivait-on trop tard ? Tout de suite il fallait savoir si les Anglais avaient pris possession de l’île ; l’amiral hésitait à s’engager à l’heure du crépuscule dans une passe dangereuse ; mais un jeune élève, M. Amet, connaissait déjà ces parages difficiles ; sans hésiter, aux dernières lueurs du jour, il pilote l’aviso dans l’étroit chenal et vient mouiller non loin du bâtiment étranger. Dès que la nuit est close, ce même officier quitte le bord, dans un canot, franchit heureusement la ligne des récifs, aborde au rivage et, guidé par sa boussole, parvient à la maison de la mission, où il trouve le supérieur, le P. Goujon ; ensemble ils reviennent au Phoque, réveillent l’amiral et lui apprennent que les Anglais, venus pour négocier l’achat de l’île, — ils s’en étaient imprudemment vantés, — n’avaient encore rien conclu avec le chef. Il était encore temps d’agir. Le missionnaire, en pleine obscurité et au péril de sa vie, regagne la terre, va trouver le chef Vendegou, son ami, et le presse de mettre son île sous la protection de la France ; le Canaque, confiant dans la loyauté du prêtre et comprenant que, s’il n’accueille pas les Français, il lui faudra subir les exigences des Anglais, qu’il déteste, se rend aux instances du P. Goujon. A l’aube, un signal appelle les officiers du Phoque ; l’amiral débarque ; craignant d’éveiller les soupçons des Anglais, il n’a pas arboré son pavillon de commandement et il est descendu à terre en costume civil ; un aide de camp l’a précédé, emportant son uniforme. On arrive à la case des missionnaires ; l’amiral endosse son habit chamarré de dorures et de décorations, fait hisser le drapeau national et signe le procès-verbal officiel de prise de possession.

Les Anglais, occupés à des travaux d’hydrographie, avaient bien vu l’aviso ; les visites d’usage avaient même été échangées, mais ils n’avaient rien soupçonné de la petite scène qui s’était jouée presque sous leurs yeux ; quand le navire fut parti, le capitaine du Herald fit venir à son bord le chef Vendegou, exhiba devant lui de superbes présens et lui demanda de vendre son île à la Grande-Bretagne. « C’est trop tard, » répondit le Canaque, et il montra le pavillon français. Furieux, l’officier, qui tenait dans