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évident qu’il ne saurait y avoir là qu’un malentendu dont les origines sont, après ce que nous avons dit, faciles à apercevoir. La question des indigènes est la cause première de la querelle. Aux yeux du missionnaire, le Canaque est avant tout un homme dont l’âme vaut celle de l’Européen ; il aime l’indigène de toute la force de sa charité chrétienne, comme une créature de Dieu promise à la vie éternelle ; il est devenu tout naturellement le confident et le conseiller des tribus catholiques. Et comment lui ferait-on un crime de défendre, lorsqu’il les croit lésés, les intérêts matériels et moraux des Canaques ? L’administration, naturellement, et sans qu’on puisse lui en faire grief, est portée à considérer les indigènes au point de vue de la main-d’œuvre, ou au point de vue de l’impôt ; même avec la meilleure volonté d’être paternelle, elle représente la race conquérante.

Témoins sur place des froissemens peut-être inévitables et des injustices partielles qui accompagnaient l’opération du « cantonnement » ou la levée de l’impôt de capitation, les missionnaires ont essayé de s’entremettre et, tout en donnant aux indigènes des conseils de soumission, ils se sont efforcés d’adoucir pour eux les exigences de l’administration ou de fléchir les rigueurs de la loi. Comment le leur reprocherait-on ? On ne saurait non plus s’étonner que les missionnaires déconseillent aux indigènes qui les consultent de travailler chez certains colons, quand on sait comment quelques colons abusent de toutes façons des indigènes, ne se font guère scrupule de les exploiter ou de leur payer en alcool un salaire promis en argent ; les missionnaires, au contraire, poussent de toute leur influence les Canaques à travailler chez les colons honnêtes qui respectent en eux des créatures humaines et des chrétiens. Voilà les sources réelles du malentendu et l’on s’explique comment il a pu dégénérer en une guerre religieuse. Le gouverneur, tout entier à ses louables efforts de colonisation agricole, assailli par les plaintes de planteurs en lutte avec les difficultés du début, irrité des critiques des adversaires de sa méthode, autoritaire d’ailleurs par tempérament, — il suffit de lire ses discours pour s’en convaincre, — et enclin peut-être, comme le sont tant de Français, à apercevoir partout la main du « clérical, » en vint très vite à considérer les missionnaires comme responsables des obstacles qui surgissaient, nous l’avons montré, par la force même des choses, à l’encontre de ses projets. Dès lors, la lutte contre le « cléricalisme » commença ; le Radical,