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instructions ne lui arrivaient pas, et la négociation, que nous verrons reprendre, tombait pour l’instant. Sur ce point comme sur tous les autres, Vernon, en effet, se renfermait dans un silence qu’à Versailles on commençait à trouver inquiétant. Les nouvelles que Phelypeaux envoyait de Turin n’étaient pas faites pour rassurer. Tantôt Victor-Amédée s’exprimait « avec véhémence, » n’admettant pas que le Roi pût se rétracter des engagemens pris avec lui. « Quoy ! s’écriait-il, voilà la suitte de tout ce que j’avois espéré de ses bontés et de l’honneur que j’ay de lui appartenir de si près et de celuy dont je me flattois de le servir. Oh ! j’aurois bien dû m’y attendre. » Tantôt il avait, lui aussi, recours à l’ironie et disait à Phelypeaux : « Rien ne peut estre au-dessus des marques que le Roy donne d’estre un bon père en cette occasion puisque, pour cela, il en coûte à la France et la Lorraine et la Savoye et le comté de Nice, » et il ajoutait, avec une prévision singulièrement juste de l’avenir : « Plusieurs, à la place de Sa Majesté, auroient pris un autre party. Pour moy, je n’y aurois pas manqué, estant certain que le jeune roy qui va en Espagne doit estre et sera dans un an aussy bon Espagnol que ceux qui ont régné avant luy. » Phelypeaux transmettait fidèlement ces paroles, tantôt ironiques et tantôt menaçantes, et en même temps il informait que Victor-Amédée venait d’envoyer un courrier extraordinaire à Vienne[1].

Cependant les événemens marchaient. Si Guillaume III, contraint et forcé par son parlement, si les États Généraux de Hollande, avec plus ou moins de bonne grâce, avaient reconnu le roi d’Espagne, il n’en était pas de même de l’empereur Léopold, qui revendiquait, au contraire, pour son fils l’archiduc Charles, éventuellement désigné par le testament de Charles II, l’entière succession d’Espagne. Il se préparait ouvertement à envahir le Milanais. Or, par le Tyrol, pays d’Empire, les passages des Alpes qui conduisaient en Italie lui étaient ouverts. Au contraire, les passages qui donnaient accès à la France étaient fermés à Louis XIV, puisqu’ils étaient la propriété du duc de Savoie. Celui-ci voudrait-il les ouvrir ? C’était pour la France une question capitale qui aurait dû conduire à traiter la Savoie avec plus de ménagemens. Il devenait en tout cas indispensable d’être fixé sur les intentions de celui qui détenait ces passages. Louis XIV chargea Phelypeaux

  1. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 100. Phelypeaux au Roi, 19 et 27 novembre, 1er décembre 1700.