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de tâter Victor-Amédée. Victor-Amédée répondait d’abord qu’il s’estimait heureux que « ses estats pussent être bons à quelque chose, qu’il souhaitoit même que sa personne et ses troupes le fussent, » « mais, ajoutait Phelypeaux, il se flatte que vous ne l’obligerez à rien d’opposé à son caractère et ses intérêts, ny à l’honneur qu’il a de vous appartenir[1]. »

C’étaient là des assurances trop vagues pour qu’il fût possible d’aventurer les troupes du Roi à travers les défilés des Alpes, en plein hiver, sans que rien fût convenu ni quant à leurs étapes, ni quant à leur nourriture. Pour s’éclaircir des dispositions véritables du duc de Savoie, Louis XIV jugea nécessaire d’envoyer en Italie notre vieille connaissance Tessé. A la vérité, le voyage de Tessé avait un double but. Il devait aller jusqu’à Milan pour s’entendre avec le prince de Vaudémont, gouverneur du Milanais pour le compte du roi d’Espagne, sur le chiffre des troupes qu’il était nécessaire d’envoyer à son aide, troupes dont Tessé devait avoir le commandement provisoire. Il devait s’entendre également avec Vaudémont sur le plan de campagne que le prince lui-même, généralissime des deux armées d’Espagne et de France, comptait opposer à l’invasion imminente de l’armée impériale commandée par le prince Eugène. Mais il devait en même temps profiter de son passage à Turin pour entrer en relations avec Victor-Amédée et l’entretenir de la question des passages[2]. C’est au cours de cette mission, à la fois militaire et diplomatique, que Tessé prit occasion d’adresser à la duchesse de Bourgogne, dont il était l’écuyer et se plaisait à se dire le domestique, ces lettres d’un tour si spirituel, pleines d’anecdotes gaillardes et de conseils intimes, que le comte de Rambuteau a rendu le service de découvrir et de publier[3]. Mais, en même temps, il adressait au Roi, à Torcy, à Chamillard, nouvellement promu au Ministère de la Guerre en remplacement de Barbezieux, des dépêches d’un tour non moins vif où il dénonçait le duc de Savoie, ses hésitations et sa duplicité. Pour obtenir de cet allié peu sûr quelque assurance positive, Louis XIV avait compté sur la bienveillance qu’autrefois il avait témoignée à Tessé. Mais il n’avait pas compté sur l’humeur changeante de Victor-Amédée, à en croire du moins

  1. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 106. Phelypeaux au Roi, 10 déc. 1700.
  2. Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France. Savoie, Sardaigne et Mantoue, t. I, p. 247.
  3. Lettres du maréchal de Tessé, publiées par le comte de Rambuteau. Paris, 1888.