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Cet ouvrage parut en 1889 à Leipzig, sous le titre de Papa Hamlet. L’histoire en est assez singulière, car elle démontre que la mystification littéraire est demeurée possible à notre époque d’érudition et de télégraphe, jusque dans la savante Allemagne. Qu’un Mérimée, au premier tiers du siècle, ait trompé quelque temps ses contemporains sur l’existence de l’intéressante Clara Gazul, ou sur l’authenticité de poèmes slaves, on le conçoit sans peine, en songeant à la lenteur des communications d’alors, et à l’ignorance proverbiale des Français, en matière de littérature étrangère. Mais, qu’en 1889, la presse germanique tout entière se soit laissé prendre à une supercherie du même ordre, voilà qui est piquant et inattendu. C’est ce qui arriva cependant lorsque parurent, sous le nom de Bjarne P. Holmsen, les trois récits dont le premier, Papa Hamlet, donnait son titre au volume. Dans l’introduction, un certain Dr Bruno Franzius disait avoir traduit l’ouvrage du norvégien et donnait une courte biographie de l’auteur supposé. Holz et Schlaf ont plus tard avoué qu’ils furent eux-mêmes surpris du succès de leur stratagème. Un ton d’ironie évidente qui règne dans le récit de la carrière du prétendu Holmsen leur paraissait devoir trahir très rapidement les irrégularités de son état civil. Ce jeune banquier contrarié par une famille prudente dans sa vocation littéraire est l’esquisse d’un personnage de roman satirique, plutôt qu’une figure en chair et en os. Néanmoins, leur déguisement assura aux auteurs véritables un accueil assez impartial : les opinions se partagèrent, et la condamnation ne fut pas du moins unanime, cette fois, comme elle l’avait été pour les Chants d’un moderne. Les deux collaborateurs se sont donné plus tard le matin plaisir de rapprocher les appréciations contradictoires que leur œuvre avait inspirées à la critique, et ils ont ainsi démontré le danger des métaphores artistiques. « Holmsen peint avec un épais pinceau de crins, » disait la Poste de Zurich. « Il faut jouir par soi-même de l’incroyable finesse de l’exécution, » s’écriait le Journal de Leipzig. « Avec du noir seulement, on ne peut ni peindre, ni décrire, » déclarait l’un. « Le propre de ce style est un coloris extrêmement varié et persuasif, » assurait un autre.

Mais voici une sentence plus sérieuse : « La technique du récit, disait très justement M. G. Conrad, dans la Gesellschaft, est extrêmement originale. Ce ne sont que des éclaboussures de couleurs criardes, sans préparation, sans lien, mais qui, dans