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et lumineuse, toutes les jouissances inexplicables et profondes que nous donne la contemplation de la nature vivante et que l’art exalte en s’efforçant de les fixer, la Bethsabée est un morceau de facture incomparable. On peut ajouter même que l’expression réfléchie d’Hendrickie transformée en dame biblique qui vient de recevoir une lettre de David et qui médite, sans trop de répugnance, sur les propositions amoureuses du vieux roi, tout en se faisant couper les ongles des pieds par sa duègne, est assez conforme au rôle passager que lui prête l’artiste. Cependant, ce n’est point là ce qui nous touche : toute la séduction, la forte et durable beauté de cet ouvrage, réside bien dans la naïveté enthousiaste, dans l’intelligence passionnée de la nature et de la vie, avec lesquelles il est modelé et ensoleillé.

Tout autre est l’impression dont nous frappe et nous pénètre l’extraordinaire Portrait d’Hendrickie au Salon Carré. Nulle part, la matière de la peinture, une matière à la fois solide et tendre, robuste et souple, trempée dans on ne sait quel bain de soleil, tout imprégnée d’or et de flamme, ne fut jamais pétrie avec tant d’amour pour représenter une tête vivante, pour exprimer une âme. Que faut-il admirer le plus, dans cette apparition à la fois si palpable et si lointaine, si réelle et si idéale ? Est-ce la beauté matérielle dont resplendissent les chairs souples et colorées, cette chevelure fine, ces yeux bien ouverts et brillans. ces riches étoffes et ces soyeuses fourrures, si savamment animées et réjouies par les étincellemens dispersés et concordans des perles et des orfèvreries ? Est-ce la beauté morale, une beauté simple, un peu mélancolique, douce, toute d’honnêteté, de résignation, d’affection, qui s’exhale de ce front si calme, de ces regards si droits et si francs, de cette bouche si affable ? Ce jour-là, avec tout son génie d’artiste, le peintre reconnaissant a répandu sur sa toile tout son amour et tout son cœur, et l’humble chambrière est devenue l’égale, devant la postérité, des plus nobles dames et des plus superbes favorites, ses fières voisines au Louvre, la Laura Dianti et la Monna Lisa ! Les dernières années de Rembrandt sont représentées encore par une série de morceaux dans lesquels sa virtuosité ne cesse de s’affirmer avec une liberté croissante. Le Portrait d’homme et le Bœuf écorché, de 1655, le Portrait de jeune homme de 1658, le Saint Mathieu et la Vénus et l’Amour de 1661, tiennent une excellente place au Musée. L’œuvre la plus intéressante de cette période reste, pourtant, le portrait du vieux peintre