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leurs succès, quelque considérables qu’ils eussent été, les généraux anglais se retrouveraient aux prises avec des embarras et des périls dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont toujours les mêmes.

Déjà, en Angleterre, on en éprouve une mauvaise humeur assez vive. Après la capture de Kronje et la prise de Blœmfontein, on avait cru que la vigoureuse impulsion donnée aux troupes britanniques irait toujours en se développant et en s’accentuant. On s’attendait à des coups de foudre. On parlait d’une marche immédiate sur Pretoria. Et pourtant, la lenteur même avec laquelle lord Roberts avait occupé Blœmfontein était de nature à modérer ces impatiences, en montrant que le généralissime anglais ne les partageait pas, ou du moins qu’il savait y résister. Pour marcher plus sûrement, il va toujours à pas comptés. Aussi, le ton de la presse anglaise s’est-il modifié, depuis quelques jours. A l’enthousiasme ont succédé l’hésitation, l’inquiétude, l’irritation. On n’est pas très juste en ce moment pour les généraux, ni pour les officiers, ni même toujours pour les soldats engagés dans cette terrible guerre, et qui y font de leur mieux. La première critique vraiment acerbe et amère est venue de M. Cecil Rhodes. A peine débloqué de Kimberley, ce réaliste sans préjugés s’est exprimé dans les termes les plus dédaigneux pour tout le personnel militaire qui avait eu la mauvaise chance d’opérer sous ses yeux. Oubliant que c’était pour lui, en somme, que tant d’hommes souffraient et mouraient, il ne s’est fait aucun scrupule de les taxer de maladresse, et même d’ineptie. Lorsque ces libres propos d’un homme puissant et redouté sont arrivés à Londres à travers les mers, on en a éprouvé comme un tressaillement où il y avait de la confusion et de la colère. Mais aujourd’hui on n’est plus aussi éloigné de penser comme M. Cecil Rhodes, et la question de savoir ce que vaut exactement son armée tient l’Angleterre dans une anxiété que tous les récits venus du sud de l’Afrique contribuent à entretenir ; On ne peut pas les taxer de malveillance, car ils sortent tous de plumes anglaises. Ces reporters et ces écrivains racontent fidèlement ce qu’ils ont vu. Et ils ont vu toute une armée restée vaillante et énergique sans aucun doute, mais fatiguée, hâve, souvent déguenillée, mal faite pour cette guerre où elle a été jetée par la plus imprévoyante des politiques. Tout le monde se rend compte que les hostilités, même en mettant les choses au mieux, seront encore très longues, et qu’elles se termineront par une guérilla confuse et diffuse qui renverra la pacification définitive à un temps indéterminé. Les Anglais ne connaissent pas le découragement, et les perspectives qui s’ouvrent