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parens des garnisaires, est accueillie à coups de pierre, repoussée de vive force. Les conscrits obéissans, ceux qui se laissent conduire au chef-lieu, s’y voient parqués dans des locaux délabrés, malsains, dépourvus d’objets de casernement ; leur mécontentement s’aigrit. Dès qu’on les met en route, la désertion fait fondre les colonnes ; les conscrits ne veulent pas aller dans ces armées où l’on meurt de faim et de détresse plus encore que par le feu de l’ennemi ; beaucoup préfèrent la vie sauvage ; ils rejoignent les détrousseurs de grands chemins, les pilleurs de diligences, les chauffeurs, les forçats évadés, les réfractaires aux anciennes levées, les criminels et les désespérés ; partout où des bandes armées circulent, ils les grossissent ; ailleurs, ils en forment.

Le nord de la France, à l’exception des départemens réunis, l’Est, une grande partie du centre, avaient joui jusqu’alors d’une paix relative ; certains de leurs départemens y étaient proposés en exemple aux autres et bien notés. Maintenant, dans le Nord, le Pas-de-Calais, l’Aisne, on relève des faits d’insubordination, des ravages. La garde nationale de la Somme témoigne d’un si mauvais esprit qu’il faut la désarmer. Dans les Ardennes, une portion du contingent résiste à l’appel. A Chalons-sur-Marne, un mouvement insurrectionnel éclate dans le bataillon auxiliaire. Dans l’Yonne, les conscrits crient : Vice le Roi ! En Saône-et-Loire, une colonne mobile, commandée pour les faire rejoindre, refuse d’obéir. L’Allier, la Nièvre, présentent aussi quelques symptômes inquiétans, quoique leurs habitans soient en général fidèles ou au moins dociles.

A mesure que l’on remonte la vallée de la Loire et que l’on descend celle du Rhône, le mal apparaît effrayant. « Le nombre des déserteurs est si grand dans la Haute-Loire qu’il dépasse plusieurs milliers. L’administration centrale regarde comme impossible que la force armée qu’elle a à sa disposition puisse en arrêter même la cinquième partie ; ceux qu’on a arrêtés désertent de nouveau. » Les massifs montagneux du Puy-de-Dôme et du Cantal fourmillent de réfractaires. Dans la Corrèze, il est impossible de fournir aux recrues des objets d’habillement et d’équipement : « L’aristocratie du pays a profité de cette circonstance pour engager les conscrits des campagnes à déserter. » La Lozère est en pleine fermentation : « Les conscrits s’y sont attroupés au chef-lieu et ont menacé le commissaire municipal, qui les invitait à se rendre à leur poste. » L’Ardèche s’agite, au seuil de cet