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vides. On peut assurément remplir ces vides avec de la pierre, de la brique, et peut-être avec du céramo-cristal ou de la terre cuite. Mais alors, ce n’est plus de l’architecture de fer. Réduit à sa matière nécessaire et apparente, le fer, en supprimant l’obstacle à la vue, supprime le plaisir de la vue, c’est-à-dire apparemment quelque chose de considérable en esthétique.

Aussi ne peut-on pas dire que, dans la substitution du fer à la pierre, il n’y ait qu’une révolution semblable à la substitution de l’ogive au plein cintre. Il y a, à la fois, plus et moins. Il y a plus, car, avec les anciens matériaux, les supports comme les parois, les colonnes comme les frises étaient de la même famille. Dans la pierre, tous ces matériaux, — os, muscles et peau, — sont de la même substance. Dans la maison de fer, les os seuls sont de la même substance. Or, il faut au monument autre chose que des os : il faut des muscles, il faut un épiderme. À ce moment-là donc, dès que l’ossature est terminée, il faut, de toute nécessité, changer de matière, ce qu’il ne fallait pas nécessairement avec la pierre. Admirable pour supporter quelque chose d’autre que lui-même, le fer ne peut recouvrir tout seul ce qu’il protège. C’est un bras, le plus fort de tous les bras, ce n’est pas un corps organisé. La nature, qui construit les montagnes, — ses monumens à elle, — en pierre et les décorations superficielles de ses montagnes en bois, ne construit pas avec du fer. Elle contient le fer ou la matière du fer, mais comme une armature profonde et cachée.

Mais que le fer ne soit pas « monumental, » au sens que nous donnions autrefois à ce mot, qu’importe, s’il est esthétique ? Et que la révolution qu’il annonce soit plus grande que toutes celles que l’architecture a déjà vues, qu’importe, si elle est féconde ? Telle est la pensée des novateurs. Et ils se félicitent presque de voir le nouveau venu bouleverser si fort les habitudes de l’ancienne architecture, comme d’un gage évident d’une plus complète rénovation. Car le mal de notre architecture, disent-ils, est précisément dans cet attachement aux anciennes formules. Il est dans cet entêtement à vouloir faire dire au fer ce qu’il n’est pas fait pour exprimer et à repousser, comme trop nouveau ou trop inattendu, ce que naturellement il exprime. Saisissons, au contraire, l’enseignement qu’il nous donne. Conformons-nous à sa nature, suivons sa direction. Modelons nos conceptions d’après ses propriétés nouvelles, et dérivons les formes de nos rêves de son emploi judicieux.