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pensée française. Cet homme s’est éloigné ensuite ; son souvenir est resté. Il n’existe qu’une réputation vraiment hors de pair, incomparable, colossale, celle de Bonaparte. Les bulletins de ses victoires sont encore affichés sur les murs de toutes les communes. Son nom a pénétré jusqu’aux plus humbles chaumières des plus ignorans villages. On le connaît surtout comme grand général, comme gagneur de batailles, mais on sent confusément que tout irait mieux, si cet homme était là. Que n’est-il là ! L’écrivain Fiévée, retiré dans les environs de Reims, causait volontiers avec les paysans : ils lui faisaient tous cette question : Pourquoi le général Bonaparte ne revient-il pas ? .« Jamais aucun ne s’informait du Directoire, »


V

L’ennemi du dehors avançait toujours. En Hollande, l’armée anglo-russe approchait d’Amsterdam, refoulant nos forces. Sur le Rhin, les Impériaux cernaient Manheim, tête de pont française au de la du fleuve, et menaçaient Mayence. En Italie, les Autrichiens, tout en guerroyant contre notre armée de Ligurie, commençaient à peser sur le département des Alpes-Maritimes, inondé de révoltés et de « barbets. » Plus haut, ils reconnaissaient, tâtaient les passages des Alpes.

Cependant, notre situation ne serait irrémédiablement compromise que si les républicains perdaient la Suisse, ce massif de cimes et de glaciers inséré entre l’Italie et l’Allemagne, ce bastion proéminent, cette grande place d’armes d’où nos soldats pourraient toujours paralyser deux des invasions imminentes, en inquiétant leurs flancs. Les coalisés avaient fini par le sentir. Après beaucoup de tergiversations et de discordes, ils s’étaient décidés à un grand effort en Suisse. Les Autrichiens de Hotze, les Russes de Korsakof pressaient Masséna entre Zurich et Lucerne ; Souvorof remontait de Milan vers le Nord, se jetait dans les Alpes et essayait de tomber, par le col du Saint-Gothard, sur les derrières de notre armée. S’il réussissait à prendre Masséna entre deux feux, à l’écraser, nul obstacle n’arrêterait plus sa marche entreprenante ; il n’aurait qu’à pousser devant lui, chassant l’ennemi ; entré vainqueur à Lucerne, il serait le lendemain à Bâle, le surlendemain au seuil de l’Alsace, et, par la trouée de Belfort, par cette tissure de nos frontières, se coulerait en Franche-Comté,