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(décret du 27 juillet 1858), venaient de recevoir le titre de commandans de corps d’armée (décret du 26 décembre 1859). Randon eût voulu que chacun de ces commandemens constituât une province militaire, en y comprenant l’Algérie, septième province. Chacune devrait pourvoir à l’armement, à l’équipement d’un corps d’armée avec sa cavalerie, son artillerie, son train, etc. Chacune, en conséquence, aurait, dans son arsenal ou dans ses magasins, les fusils, les équipemens, les effets d’habillement, les vivres, etc., nécessaires. Ce projet réalisé eût été la décentralisation que, dès la guerre de Crimée, l’Empereur déclarait indispensable, et notre armée, qui par l’impétuosité de sa vaillance venait de se montrer dans les plaines d’Italie la première du monde, le serait devenue encore par la flexibilité de son organisation administrative, et par sa rapidité à passer du pied de paix au pied de guerre.

Mais, pour opérer cette réforme fondamentale, il fallait de l’argent, beaucoup d’argent. Or, le ministre des finances, le Corps législatif, recommandaient l’économie. On venait d’engloutir deux milliards dans les guerres de Crimée et d’Italie ; la réforme économique ne coûtait pas loin d’une centaine de millions ; si l’Empereur était venu demander de nouveaux crédits considérables, il y aurait eu un tolle, et non pas seulement sur les bancs de l’opposition.

Il eût retrouvé dans le Corps législatif une résistance aussi acharnée que celle qui commençait en Prusse contre le projet de réorganisation militaire du Régent tendant au même but que celui de Randon. Il y avait, dans les situations, cette seule différence qu’en Prusse, la résistance disposait de plus de force qu’en France. Il fallait un effort long et puissant, dont le succès était incertain, pour venir à bout du soulèvement des députés du Landtag ; l’Empereur, au contraire, sans grand’peine, pouvait mater le mauvais vouloir du Corps législatif ; il eût crié, mais fini par voter. Cependant, tandis que le régent de Prusse se jetait tête baissée, à tout risque, dans le combat parlementaire, l’Empereur s’arrêta tout court devant la seule perspective de l’engager. Le pourquoi de cette différence de conduite contient le secret des événemens futurs.

Guillaume préparait la guerre qu’il désirait pour établir la suprématie de la Prusse en Allemagne. Napoléon III ne croyait pas qu’une guerre nouvelle lui fût nécessaire pour maintenir en Europe sa suprématie morale, la seule qu’il désirât et que personne