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c’est bien Bonaparte qui recommence à faire parler de lui ; rentré en Égypte avec ses troupes, il a culbuté une armée de Turcs, débarquée près d’Aboukir ; par une lettre déjà vieille de deux mois, il promet à son tour une moisson de drapeaux conquis. De grands « vive la République » saluent cette nouvelle ; l’assemblée veut entendre deux fois la lecture du message.

Le 28, nouveau coup de théâtre ; « vers deux heures, » le canon retentit dans Paris, tirant en plusieurs endroits, et la population tressaille. Qu’est-ce encore ? c’est l’annonce d’un triple succès : Aboukir repris par Bonaparte, avec un grand carnage d’Ottomans ; Souvorof définitivement en retraite ; York battu une seconde fois par Brune, à Castricum : trois victoires, trois bonheurs à la fois. Les Conseils proclament que les armées d’Helvétie, de Batavie et d’Orient « ne cessent de bien mériter de la patrie. » Les orateurs ne trouvent pas de mots assez lyriques pour célébrer nos braves. « Quel changement, s’écrient les journaux, quelle brillante fin de campagne ! » Leurs colonnes s’emplissent de rapports, de relations circonstanciées ; ils donnent des détails, citent des traits d’héroïsme, énumèrent les trophées, dont le nombre connu va sans cesse grossissant, insistent sur les pertes de l’ennemi et sur leurs conséquences ; on parle maintenant de trente mille hommes mis hors de combat en Suisse ; dans le Nord, York va se rembarquer, par capitulation. Et Paris, à chacun de ces bulletins qui lui arrivent coup sur coup, à chaque choc, sort un peu plus de son assoupissement ; il s’émeut, s’exalte, renaît aux sentimens hauts. Enfin, comme si la fortune tenait à ménager ses effets et à procéder par gradation savante, à tant de nouvelles heureuses succède la plus extraordinaire de toutes, la plus inattendue, aussi funeste à la coalition que « trois autres batailles perdues : » Bonaparte en France.

Oui, il a débarqué près de Fréjus, avec Berthier, Lannes, Marmont, Monge, Berthollet, avec d’autres fidèles, ayant prévenu l’appel des directeurs et quitté l’Égypte depuis quarante-sept jours, ayant échappé aux périls de mer et aux flottes anglaises. Los gens de la côte, pour le voir plus tôt, se sont jetés à l’abordage de son bâtiment, au mépris des lois sanitaires, et lui ont ainsi fourni prétexte pour se dispenser de la quarantaine ; il est maintenant sur la route de Paris, il approche, il vient, soulevant sur son passage une traînée d’acclamations. Voilà ce que l’on commence à se répéter dans Paris le soir du 21 vendémiaire-13 octobre. Le lendemain