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dernier portefeuille, M. Guieysse, qui édicta les dispositions réglementaires destinées à assurer le fonctionnement du nouveau régime. Le Pavillon de Flore reçut du Quai d’Orsay l’enfant qu’on lui offrait tel qu’il était présenté et paré : une série de décrets[1] organisa la résidence générale, le secrétariat général, les résidences de provinces, la justice, la fusion de nos anciens établissemens de Diego-Suarez, Nossi-Bé et Sainte-Marie de Madagascar dans le système d’ensemble, etc. Presque tout, dans ces décrets, était inspiré par les précédens et les exemples de la régence de Tunis. Sur deux points, l’organisation fut particulièrement fâcheuse. Le décret du 28 décembre sur la justice promulgua en bloc à Madagascar l’ensemble des lois françaises pour toutes les affaires civiles, commerciales ou répressives « autres que celles dans lesquelles il n’y a que des indigènes en cause, » ce qui exigea du premier coup l’envoi d’un nombre de magistrats professionnels absolument inusité dans les colonies de récente formation. Puis, chose infiniment plus grave, le décret du 11 décembre sur les attributions du résident général, reniant les leçons les plus évidentes de l’expérience coloniale, établit une scission à peu près complète entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire, au risque d’instituer entre eux, ce qui ne manqua pas d’arriver, un conflit permanent : le résident général n’avait point autorité sur le commandant des troupes ; s’il se trouvait dans la nécessité de recourir à l’action militaire, il devait « se concerter » avec lui et, à défaut de concert comme de possibilité d’en référer à l’administration centrale, procéder par voie de réquisition ; le commandant des troupes correspondait, d’ailleurs, directement avec les ministres militaires de la métropole, même pour les matières qui n’étaient point exclusivement techniques. En un mot, on ouvrait la porte aux rivalités de corps et à l’anarchie, dans un moment où la plus complète unité de vues et de direction était particulièrement nécessaire. On ne tarda pas à constater le vice fondamental de cette conception, alors qu’il eût suffi d’un coup d’œil jeté sur l’histoire de l’Indo-Chine pour s’épargner une si fâcheuse erreur[2].

  1. 14, 28, 29 décembre 1895, 7 et 28 janvier 1896.
  2. L’ordre n’a été rétabli entre les divers services de l’Indo-Chine que lorsque le décret du 27 janvier 1886 eut stipulé que le résident général « a sous ses ordres le commandant des troupes de terre et de mer » et que celui-ci peut correspondre directement avec les ministres militaires « pour les questions techniques, dans les limites autorisées par le ministre des Affaires étrangères. » On sait qu’en Algérie, à la suite des troubles de 1898-1899, il a fallu prendre des mesures analogues.