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dire que, parmi les personnages connaissant les affaires malgaches et que l’on pouvait consulter utilement à Paris, un sentiment très différent prédominait. On commençait à redouter que l’insurrection, en s’étendant, n’aboutît à un massacre général des Européens qui résidaient dans l’île ; on réclamait l’envoi aussi prompt que possible de gros renforts militaires, trois mille hommes pour le moins, avec un nombre adéquat de généraux ; on dénonçait l’anarchie des pouvoirs locaux[1], on soupçonnait la sincérité de la cour hova à notre endroit, on conseillait enfin plus de cohésion et plus d’autorité.

Dès ses premières dépêches, datées des 23 et 31 mai, le nouveau titulaire du portefeuille des Colonies essaya d’obtenir, avec les agens de la France déjà présens à Madagascar, une impulsion différente de celle qu’ils avaient jusque-là donnée aux affaires. Il rappela à M. Laroche que ses instructions originelles avaient prévu le cas, où, si des troubles éclataient, des territoires militaires devraient être constitués avec réunion de la totalité des pouvoirs entre les mêmes mains, ajoutant que le moment était assurément venu de recourir à cette manière de procéder, tout au moins sur les frontières de l’Emyrne. Il mit le résident général en défiance contre la cour hova, dont la docilité excessive, pour ne pas dire la passivité, devant nos suggestions[2] « pouvait indiquer que les fonctionnaires indigènes voyaient sans déplaisir l’état de trouble des diverses parties de l’île, à supposer même qu’ils n’en fussent pas les complices ou les instigateurs. » Il le convia à rendre délibérément responsables les chefs de service indigènes et les chefs de villages des désordres qui pourraient survenir dans leur sphère d’action, comme à ne pas se faire le restaurateur aveugle des fonctionnaires hovas là où leur influence sur les tribus dissidentes était contestée et où leurs déprédations antérieures avaient laissé de fâcheux souvenirs.

  1. Cette anarchie n’était que trop évidente : au conflit permanent entre civils et militaires, qui se traduisait par des dénonciations presque publiques des cliens indigènes des uns et des autres, était venue s’ajouter une incompatibilité d’humeur radicale entre le résident général et son principal collaborateur civil, laquelle obligea le ministre à les séparer dans le courant de juillet. Peu après, M. Bourde dut rentrer en France pour raisons de santé.
  2. M. Laroche avait écrit le 13 avril : « La cour donne l’exemple d’une soumission absolue à nos volontés. Toute indication de nous est obéie comme un ordre. Nous sommes même embarrassés parfois de cette excessive abnégation. Je voudrais plus de hardiesse, sinon à me tenir tête, du moins à discuter avec moi les inconvéniens et les avantages des mesures auxquelles je songe et que peut éventuellement contre-indiquer telle ou telle considération impliquant une connaissance intime du pays, comme peuvent seuls l’avoir les ministres indigènes. »