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plutôt qu’à les terroriser, à les fléchir plutôt qu’à les courber. Or, le nombre n’est pas grand des hommes à intelligence assez vaste, à esprit assez souple, à vues assez lointaines pour conduire utilement une œuvre aussi complexe. Tel candidat, excellent soldat du reste, ne concevait pas qu’il y eût autre chose à faire à Tananarive que de baptiser la reine Ranavalo catholique ; tel autre préconisait exclusivement l’emploi de la force. L’officier qui fut définitivement choisi, — ce ne fut pas sans peine, car, paraît-il, son « tour d’embarquement » n’était pas arrivé, au gré des bureaux de la marine, — le colonel, bientôt général Gallieni, n’avait point d’idées préconçues et n’en voulait point avoir. Son passé, tant au Soudan qu’en Indo-Chine, montrait qu’il savait conquérir, plus encore que du territoire, de l’ascendant et des sympathies. Quand on lui offrit de prendre connaissance des dossiers officiels avant d’accepter une aussi lourde charge, il déclina cette offre, « craignant par-dessus tout, disait-il, de se former des opinions à Paris. » Quand on lui par la des renforts qu’il croirait nécessaires, il déclara tranquillement que les effectifs présens dans l’île, employés autrement qu’ils ne l’avaient été, lui semblaient suffisans, mais qu’à tout hasard, il aimerait à emmener 600 hommes de la légion étrangère, de manière à pouvoir, le cas échéant, « mourir convenablement. »

Intelligence et courage, le général Gallieni en était doté. Sa santé, malheureusement, n’était pas alors en rapport avec sa volonté ; il rentrait à peine du Tonkin, atteint d’une maladie sérieuse qui n’était point encore guérie, et qui, ravivée par la saison des pluies de Madagascar, faillit l’emporter dès ses premiers mois de séjour[1]. Quelques semaines de plein repos lui étaient indispensables pour qu’il pût s’embarquer sans péril. On décida qu’il partirait le 10 août, de manière à atteindre Tamatave au début de septembre. Dans l’intervalle, force était de laisser les choses en l’état dans la grande île : à quoi bon, en annonçant leur prochain rappel, enlever à ceux qui s’y trouvaient le crédit dont ils disposaient encore ; donner aux indigènes le sentiment de notre instabilité de vues et de personnel, avant que les moyens d’inaugurer un nouveau système eussent été réunis sur place ; développer enfin l’anarchie parmi nos agens en leur laissant entrevoir la précarité de leurs chefs ? C’eût été, à n’en pas douter, aggraver le

  1. Pendant longtemps, et malgré un labeur écrasant, il dut, à Tananarive, se soumettre au régime lacté.