Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mal, sans aucun profit pour la chose publique. Mieux valait même, pour donner aux Malgaches l’impression qu’ils ne se trouvaient pas en présence du caprice d’un homme, mais de la volonté réfléchie de la France, faire commencer par ceux-là, sauf à ce qu’elle fût achevée par d’autres, l’évolution nécessaire.

Tout fut donc disposé de manière qu’au moment opportun, un simple télégramme pût changer les facteurs déterminans du problème. Un décret du 12 juillet, promulgué le 30 août seulement, rendit applicable à Madagascar les dispositions qui, en Indo-Chine, ont, dès 1886 et 1890, subordonné l’autorité militaire aux seules directions du ministère des Colonies et de ses agens immédiats. Le 4 du même mois, une direction autonome des finances et du contrôle, le 3 août un conseil d’administration, furent institués auprès de la résidence générale. Le cadre était tracé pour que d’autres mœurs, avec d’autres hommes, fussent introduites dans l’île. Une dernière circonstance activa l’évolution commencée dès le mois de mai précédent : M. Laroche, dans l’isolement moral presque absolu où il se trouvait, avait fini par se décourager devant la persistance et l’acharnement des attaques dirigées contre lui ; dans ses lettres personnelles, il parlait de la possibilité de son départ, voire de son désir d’obtenir un autre poste[1] ; il n’avait plus que l’ambition de marquer son passage à Madagascar par quelque acte décisif, avant de remettre ses pouvoirs. Or, il était un de ces actes, que le gouvernement, à la requête de la Chambre, était tenu d’accomplir à bref délai. M. Laroche reçut, le 14 septembre, l’ordre d’abolir l’esclavage et, comme cette décision menaçait de provoquer de nouveaux troubles dans les régions jusque là indemnes, il fut invité à renoncer à explorer la côte et à rentrer en France, en laissant à titre intérimaire au général Gallieni la plénitude des pouvoirs civils et militaires dans l’île tout entière[2].

  1. « La France, en faisant l’expédition de Madagascar, s’est mis sur les bras une bien grosse affaire. J’ai peur... qu’elle n’ait pas aperçu toutes les difficultés et les charges du lendemain... Si vous jugez mon maintien ici un embarras pour le cabinet, relevez-moi, ce sera une délivrance ! ... » (Lettre du 13 juillet.)
  2. M. Laroche accepta noblement son sort. Il écrivit le 26 septembre : » J’avais une grosse partie à jouer. J’ai eu mauvais jeu. J’ai perdu. Je vous remercie de m’avoir soutenu : ce n’était pas possible plus longtemps, en présence de la formidable campagne de presse à laquelle l’éloignement ne me permettait pas de répondre avec opportunité... Le général Gallieni, en possession des moyens et de l’unité de direction qui n’étaient pas entre mes mains, réussira dans sa mission ; il soumettra Madagascar. »