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V

La question de l’abolition de l’esclavage à Madagascar est une de celles où se révèle, avec le plus d’intensité, l’extraordinaire méthode apportée par le Parlement et l’opinion dans la solution des problèmes les plus complexes : point d’initiative pour le gouvernement, mais en revanche, toute la responsabilité, et, de temps à autre, de brusques ressauts de sentiment, parfois mélangés de savantes manœuvres parlementaires, qui risquent d’entraver les combinaisons les mieux préparées et de compliquer des situations déjà peu maniables.

Il n’était pas un des ministères mêlés à l’affaire de Madagascar qui n’eût admis, comme une conséquence nécessaire de l’établissement de la France dans la grande île, l’abolition de l’esclavage ; pas un non plus qui, étant donné l’ancienneté et l’importance de cette institution, la gravité des intérêts en jeu, la préoccupation de ne point fournir une arme de plus aux fauteurs de troubles, n’eût proclamé la nécessité de mener cette délicate opération avec des précautions, des tempéramens et des délais analogues à ceux que le législateur de 1848 lui-même avait reconnus indispensables lorsqu’il édicta l’abolition dans les colonies françaises.

« La question de l’esclavage, disait le 9 avril 1895 à M. Ranchot M. Hanotaux, ministre des Affaires étrangères[1], s’impose impérieusement aux préoccupations du gouvernement. Des nombreuses observations qui ont été recueillies, il résulte que l’esclavage revêt à Madagascar un caractère particulier qui le différencie sensiblement de l’esclavage africain : il a cessé, en fait et en droit, de s’alimenter par la traite, et, en règle générale, il ne se perpétue que par les naissances d’enfans issus de femmes esclaves. Dans la pratique, il paraît être devenu une sorte de servage domestique ; on s’accorde aussi à reconnaître que les Hovas sont doux et humains envers leurs esclaves et que la condition de ces derniers n’est point matériellement malheureuse.

« Les considérations de fait ne sauraient, malgré tout, nous faire oublier l’immoralité de cette institution et les inconvéniens qu’elle pourrait avoir pour le développement ultérieur de la colonisation française dans la grande île. Les principes de notre civilisation

  1. Livre jaune, 1895, p. 70.