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pourra fournir aux esclaves l’occasion de se constituer le pécule nécessaire et le moyen de se libérer sans perte notable pour les propriétaires[1]. » Et le successeur de M. Guieysse au ministère des Colonies ne tint pas un autre langage à M. Laroche lorsque, le 9 juin, après échange de vues avec la résidence générale, il lui envoya le texte d’un projet de loi destiné à régler la question dans un délai maximum de dix ans, tout en proclamant libres sans compensation aucune les enfans nés depuis le 1er octobre 1895, date de l’occupation de Tananarive par les troupes françaises[2], en même temps qu’il prescrivait de ramener désormais l’usage de la corvée à la pratique d’une prestation normale, d’en cesser toute affectation aux particuliers, et d’en limiter l’emploi aux travaux d’intérêt général.

Cette politique, que commandait la sagesse la plus élémentaire et qu’avaient conseillée tous les hommes sans exception possédant quelque compétence et quelque autorité dans les choses malgaches, eut tout d’abord la rare fortune d’être approuvée par les commissions compétentes de la Chambre des députés. Celle des Colonies, à laquelle avaient été renvoyées deux propositions de loi, l’une de M. Denys Cochin, l’autre de M. de Mahy sur l’abolition de l’esclavage, comprit qu’il y avait des distinctions à faire à Madagascar entre les esclaves proprement dits, les individus condamnés à la servitude pénale à l’égard du gouvernement et

  1. Une dépêche du 9 mars au résident général, en lui communiquant pour avis deux propositions de lois déposées à la Chambre sur l’abolition de l’esclavage, insista sur les mêmes idées.
  2. Voici quel était ce projet, qui devait être mis en vigueur aussitôt après qu’une commission consultative, dont le ministre prescrivait la réunion immédiate à Tananarive, aurait formulé son avis :
    « ARTICLE PREMIER. — Le commerce des personnes, sous quelque forme qu’il soit, est interdit à Madagascar. Tout auteur d’un contrat écrit ou verbal stipulant vente ou achat de personnes sera puni d’une amende de 500 à 1 000 francs et d’un emprisonnement de un à trois mois. — Art. 2. — Les enfans nés ou à naître à partir du 1er octobre 1893 sont libres. — Art. 3. — Toute personne qui voudra se libérer n’aura qu’à verser une somme de 100 francs dans une caisse de l’État. Le récépissé, enregistré gratuitement par l’agent du Trésor, tiendra lieu d’acte d’affranchissement. Cette taxe sera réduite de 10 francs par an jusqu’au 31 décembre 1905, époque à laquelle elle cessera d’être perçue, la libération étant acquise pour tous à compter de ce même jour. — Art. 4. — Les familles ne pourront être disjointes. En cas de cession successorale ou judiciadre, la mère et les enfans suivront le sort du père. — Art. 5. — En cas de vente ou de saisie des biens du débiteur par le créancier, un serviteur, de quelque classe ou condition qu’il soit, ne pourra être assimilé à une propriété susceptible d’être vendue ou saisie. — Art. 6. — Le serviteur d’une femme indigène vivant en mariage concubin avec un étranger sera libéré sur sa simple demande adressée au président du Tribunal jugeant en référé ou au résident de France dans les circonscriptions non pourvues de tribunal. »