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Ils faillent de penser qu’à Luther seulement
Dieu se soit apparu, et, généralement,
Que, depuis neuf cents ans, l’Église est dépravée ;
Du vin d’hypocrisie à longs traits abreuvée ;
Et que le seul écrit d’un Bucère vaut mieux
D’un Zwingle, d’un Calvin, homme séditieux,
Que l’accord de l’Eglise, et les statuts de mille
Docteurs poussés de Dieu, convoqués au Concile.
Que faudrait-il de Dieu désormais espérer,
Si lui, doux et clément, avait souffert errer
Si longtemps son Église ?


Ces vers ne font pas peu d’honneur à la pénétration de Ronsard. Il a parfaitement vu, — il a mieux vu que Calvin, peut-être, — où tendait la réforme, je veux dire à l’entière émancipation du sens individuel, à l’hypertrophie du Moi ; et rien ne l’a choqué davantage que ce qu’on pourrait appeler l’insolence intellectuelle des premiers réformés.


... Les docteurs de ces sectes nouvelles,
Comme si l’Esprit Saint avait usé ses ailes
A s’appuyer sur eux,…………….
Sans que honte ou vergogne en leur cœur trouve trace.
Parlent profondément des mystères de Dieu,
Ils sont ses conseillers, ils sont ses secrétaires,
Ils savent ses avis, ils savent ses affaires,
Ils ont la clef du ciel et y entrent tout seuls,
Et qui veut y entrer, il faut parler à eux[1].


Et il a vu encore quelque chose de plus ! Il s’est rendu compte que l’esprit de la réforme, avec sa tendance au rationalisme, ne pouvait manquer logiquement d’aboutir à la destruction de toute religion positive. Une religion rationnelle n’est pas une religion ! Ou, en d’autres termes encore, et si l’on veut s’entendre quand on parle, il n’y a pas, il ne saurait y avoir, il n’y a jamais eu de religion sans mystères. Le mystère est logiquement, nécessairement enveloppé, compris et affirmé dans la notion, dans la définition même de la religion. Toute religion implique l’existence et la réalité de ce que nous avons depuis lors appelé l’inconnaissable ; et, dans toute religion, « la reconnaissance de cet inconnaissable, » si je puis ainsi dire, est le commencement même de

  1. Il est intéressant de noter au passage qu’on ne prononçait pas plus alors l’l dans seuls que l’s dans fils ; et c’était la règle des pluriels, que l’on prononçait les pluriés.