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dans Le Cid ou dans Polyeucte. C’est encore ce qui fait l’intérêt des Discours des Misères de ce temps. Non seulement c’est d’eux, — et non pas, comme on l’a voulu, des Epitres du coq à l’âne ou du Poète Courtisan de Joachim du Bellay, — qu’est née la satire française, satire politique et morale, mais c’est en eux et par eux que notre poésie est devenue éloquence.

Si l’on ne savait pas, avant les Odes, de quelle diversité de rythmes la langue française était capable, on ne se doutait pas, avant les Discours des Misères de ce temps, qu’elle pût jamais atteindre à cette hauteur d’éloquence. Encore moins l’eût-on crue propre à traiter les matières qu’y débrouille Ronsard, et dont à peine aperçoit-on, sous la facilité de son style, la singulière difficulté. Cependant, si grande que fût cette difficulté, ni l’ampleur du souffle de Ronsard, ni la liberté de ses mouvemens, ni l’abondance de son invention verbale, ni la précision de son langage ne s’en est trouvée gênée. Et, — parce que ce sont bien des Discours ; — parce que Ronsard, tout en se souvenant de ses « modèles, » ne les a nulle part plus librement imités ; — parce qu’il s’y est moins proposé d’étonner ou de se faire admirer que de convaincre et d’agir ; — parce qu’enfin en les écrivant, il a sans doute fait œuvre d’artiste, mais bien plus encore d’homme et de citoyen, de chrétien et de Français, c’est pour cela que les Discours des Misères de ce temps sont une date considérable dans l’histoire de notre littérature. La langue française y a pris conscience de son pouvoir de propagande ; et c’est de ce jour que notre poésie, sans renoncer à s’inspirer des Anciens ou des Italiens, se proposant désormais d’être quelque chose de plus qu’une volupté de l’oreille ou un jeu de dilettante, s’est définitivement orientée dans la direction où elle devait rencontrer ses chefs-d’œuvre. Relisons les Discours des Misères de ce temps !


FERDINAND BRUNETIERE.