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Le préfet se rendit au bureau de poste avec le général commandant le département, auquel il fit, non sans peine, comprendre que le seul moyen d’obtenir une paix moins funeste à la France était le rappel des Bourbons. Tous deux s’avancèrent sur le perron, où Barante lut à la foule la proclamation du Gouvernement provisoire ; ils allèrent ensuite au théâtre où la lecture fut accueillie avec la même faveur. Et cette présence d’esprit conjura les dangers qu’on était en droit de redouter.

Ni pendant la dernière année de l’Empire, ni pendant la Première Restauration, les préfets n’étaient sur un lit de roses : quelques-uns même couraient de sérieux dangers en voulant rétablir l’ordre compromis par les excès de la réaction. Des partis toujours prêts à passer de la guerre civile des opinions aux voies de fait, ne tenant guère compte au pouvoir de ses bonnes intentions ; l’armée mécontente des faveurs accordées aux royalistes, indignée que la proclamation de Saint-Ouen parût mettre à néant un passé glorieux en datant : de la dix-neuvième année de notre règne ; les émigrés trop disposés à croire le roi rentré en France pour leur bénéfice particulier, les libéraux répétant mélancoliquement le mot de Mme de Créqui : « Ce n’est pas ce fils-là que j’avais dans la tête » ; un tel état de crise se répercutait douloureusement sur tout le pays, rendait fort épineuse la mission des représentans de l’autorité. « Tout ira bien si le roi vient chez nous, avait dit un homme d’esprit, tout ira mal s’il vient chez lui. » Il paraissait ne pas l’avoir compris, et de son côté la France ne voulait pas devenir la Belle au bois dormant, se figurer qu’elle avait dormi le sommeil d’Epiménide, abolir vingt ans de son histoire.

Aussi les occasions de faire preuve de tact et d’habileté ne manquèrent-elles point à M. de Barante, et l’une des plus délicates assurément fut le voyage du duc d’Angoulême dans l’Ouest. Comme il semblait dédié aux royalistes des insurrections, les libéraux en concevaient une vive irritation ; le préfet réussit à persuader au prince qu’il ne devait point s’entourer des Vendéens, des chefs de la guerre civile, mais montrer que les Bourbons régnaient pour les bleus comme pour les blancs. Et, pendant les quatre jours qu’il passa à la préfecture de Nantes, le prince se consacra tout entier à la garde nationale, à la municipalité, à la troupe de ligne ; puis il alla faire ses gracieusetés aux Vendéens, en plein Bocage, loin des grandes villes libérales. Dans les conversations