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secrétaire général. Il raconte malicieusement un lambeau de conversation à propos de cette mesure : « Vous avez pu voir déjà quelle facilité j’ai pour le travail. A dix heures du matin, avant déjeuner, toutes les signatures données, je n’ai plus rien à faire. — Sans doute, répondis-je, mais ce n’est pas le plus long. Comme vous n’étiez pas encore bien établi, j’ai continué à décacheter toute la correspondance, à la lire, et à mettre des notes pour indiquer le sens des réponses que vous avez signées. — C’est vrai, mais ce n’est pas grand’ chose. — Puis j’ajoutai : « Vous allez ouvrir la session, et la Chambre vous prendra du temps. — Eh ! la Chambre ! Vous ne me connaissez pas ; je la jouerai sous jambe ! » Et il en fit le geste !

J’avais oublié, comme on voit, le défaut capital de Vaublanc, l’hypertrophie du moi poussée à ses dernières limites. Ajoutons-y quelque penchant à la critique. D’ailleurs, s’il ne se refuse pas le plaisir de rappeler l’épigramme contre le duc de Richelieu : « C’est l’homme de France qui connaît le mieux la Crimée ; » il n’hésite pas davantage à rapporter celle d’un député contre lui-même : « C’était le meilleur préfet de France, on en a fait le plus mauvais ministre. » Aussi bien il ne croit pas que tout doive se résoudre avec l’épée ; il admet les tempéramens, la liberté de la presse, les concordats, répète sans cesse au roi et au Comte d’Artois : « On peut étouffer la faction sans arracher un cheveu d’un seul factieux. Cette minorité, ennemie d’elle-même, il faut la surveiller sans relâche et la comprimer par de fortes lois. » Il y a en Vaublanc deux hommes qui se combattent, empiètent l’un sur l’autre et parfois se mélangent : l’homme de droite pure, poussé vers la réaction par les excès de la Terreur, par la pratique impériale ; l’homme moderne, le royaliste constitutionnel qui a le pressentiment d’un avenir troublé, d’un conflit entre le droit divin et le droit populaire.

Le comte Ferrand avait écrit un livre, l’Esprit de l’Histoire, gros pamphlet en quatre volumes, qui le faisait regarder dans quelques coteries royalistes comme un oracle et un des docteurs de la Restauration ; il ne fut bon à rien, et son exagération ne servit qu’à creuser le fossé qui séparait l’ancienne et la nouvelle France. Sa phrase sur la ligne droite, dans la séance du 13 septembre 1814, demeura longtemps célèbre : «...A force de malheurs et d’agitations, les régnicoles comme les émigrés se retrouvaient donc tous au même point : tous y étaient arrivés, les uns en suivant