Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/408

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une ligne droite, sans jamais en dévier, les autres après avoir parcouru plus ou moins les phases révolutionnaires. Tous étaient donc déjà réunis d’intention. » On écrirait un livre curieux sur l’influence des mots en France ; il y a des mots qui tuent et il y en a qui sauvent un homme, des mots qui le rendent ridicule, odieux à tout jamais, ou qui lui font une réputation d’esprit, voire de talent, des mots qui ont entraîné les foules, les assemblées, déchaîné des tempêtes d’enthousiasme ou d’indignation. La ligne droite ayant rendu le ministère impossible au comte Ferrand, il resta aux Postes, et, comme une paralysie l’avait privé de l’usage de ses jambes, les mauvais plaisans s’égayaient à ce sujet : « Un cul-de-jatte directeur général des postes, voilà, disait-on en 1815, un symbole de la Restauration. »

Quant à Donald, le métaphysicien, le Siéyès du parti absolutiste, il inspire à Barante un portrait assez mordant, et d’ailleurs bien incomplet : « C’était la gloire du parti royaliste. On l’honorait, on l’adorait, mais plutôt comme une idole que comme un chef. Ce n’était pas un homme si doux que le font certains historiens, et il y avait dans ses impitoyables opinions autre chose que du système et de la logique. Son orgueil semblait extrême, mais calme et revêtu d’une vraie dignité. Il n’avait rien d’élevé ni de généreux dans les sentimens. Il était implacable dans ses haines. Jamais un ennemi vaincu et poursuivi n’eût trouvé asile dans sa pitié. A travers ses passions politiques, il se gardait bien d’oublier le soin de ses intérêts privés, et son émotion devenait vive dès qu’on touchait aux plus petits. Il lui fallait des pensions, et même sur les fonds secrets : il fallait placer ses enfans et ses parens. Il ne sollicitait pas, mais exigeait. Au total, il faisait une grande figure à la Chambre, sans pourtant être un meneur. Ce n’était ni son goût ni sa capacité. »

L’assassinat du Duc de Berry (13 février 1820) servit la politique de la droite et de l’extrême droite : les fureurs des salons arrivèrent au délire, des femmes excitaient les officiers des gardes du corps à assassiner M. Decazes ; M. de Chateaubriand ayant terminé son fameux article par cette phrase : « Le pied lui a glissé dans le sang, il est tombé, » M. Clausel de Coussergues, à la tribune, transformait cette figure de rhétorique en accusation de complicité réelle. Et cette honteuse calomnie devint le mot d’ordre de la faction. La Duchesse de Berry, le Comte d’Artois, le Duc d’Angoulême et leurs amis s’acharnèrent contre le « Séjan libournais, »