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M. de Sèze (1828). Il traduit Schiller, l’Hamlet de Shakspeare, la Venise sauvée d’Otway, publie diverses brochures, donne enfin son Histoire des Ducs de Bourgogne en treize volumes, avec cette épigraphe : Scribitur ad narrandum, non ad probandum, écrire pour raconter, non pour prouver ; l’histoire doit être un récit, non un plaidoyer ; l’historien, un greffier, non un juge. Non qu’il prétendît proscrire l’histoire morale, celle des Tacite, des Salluste, interdire les idées générales qui découlent des faits ; et d’ailleurs tracer un portrait, mettre en lumière ce personnage, cet événement, laisser celui-ci dans une demi-pénombre, n’est-ce pas déjà une manière de dire son opinion ? Mais juger le passé au point de vue du présent, retomber dans l’ornière de cette histoire philosophique où l’écrivain s’impose sans cesse à son sujet, lui semblait un abus et un danger. Il se proposa avant tout de restituer la couleur locale telle qu’elle se dégage des mœurs, des coutumes d’autrefois, de fonder quelque chose d’intermédiaire entre l’ancien genre et le roman de Walter Scott, alors dans toute sa vogue, d’emprunter aux anciens chroniqueurs leurs riantes visions et leurs tableaux si véridiques, de laisser le lecteur lui-même tirer les conclusions en se dérobant le plus possible, en se bornant à une sorte de résurrection dramatique. Et, comme il justifiait sa tentative par toutes sortes de raisons ingénieuses, comme il poussait un peu loin la discrétion, on crut qu’il voulait faire table rase des vieilles méthodes, d’aucuns lui reprochèrent d’avoir transformé en théâtre le tribunal de l’histoire, et Royer-Collard prononça un de ses mots fatidiques : « Quand on a des ailes, pourquoi marcher ? » L’historien des ducs de Bourgogne se contentait en somme de demander place au soleil pour son innovation : « Nous sommes, dit-il, dans une époque de doute : les opinions absolues ont été ébranlées ; ce ne sont plus des systèmes et des jugemens qu’on attend de celui qui veut écrire l’histoire ; on est las de le voir, comme un sophiste docile et gagé, se prêter à toutes les preuves que chacun prétend en tirer. Ce qu’on veut d’elle, ce sont des faits ; on exige qu’ils soient évoqués et ramenés vivans sous nos yeux ; chacun en tirera ensuite tel jugement qu’il lui plaira, ou même ne songera point à en faire résulter aucune opinion précise, car il n’y a rien de si impartial que l’imagination ; elle n’a nul besoin de conclure, il lui suffit qu’un tableau de la vérité soit venu se retracer devant elle... L’histoire ainsi racontée, lorsque les faits sont présentés avec clarté et disposés