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confiance dans la victoire, et aussi la mélancolique vision des abîmes où courait de gaieté de cœur Charles X, en compagnie d’un ministre illuminé qui fondait une politique de coup d’Etat sur des apparitions de la sainte Vierge, et avait communiqué sa foi à son prince. Barante vit avec une émotion profonde les nuages s’amonceler, le trône renversé en trois jours, et non seulement la royauté, mais toutes choses remises en question ; car les différences entre la révolution de 1830 et la révolution anglaise de 1688 sont aussi nombreuses que les ressemblances. Mais l’heure n’était pas aux regrets prolongés : il s’agissait d’organiser la victoire, et contre les royalistes, et contre les républicains, qui prétendaient prendre leur revanche, et contre les libéraux ardens, qui voulaient faire de la monarchie nouvelle la meilleure des républiques. Barante et ses amis se proposèrent d’établir une quasi-légitimité, un régime qui en même temps rassurât l’Europe et donnât des gages solides à la liberté. Et, comme il avait su, dans toutes les situations, allier au talent la prudence, l’art de manier les hommes, on lui demanda d’aller représenter la France à Turin : il accepta.

Pour n’avoir pas de grands traités de paix ou de commerce à négocier, il ne se trouvait pas moins aux prises avec une situation fort délicate. Aspirations libérales des peuples éveillés par les journées de 1830, encouragées par La Fayette et l’extrême gauche qui poussaient à la guerre générale ; troubles graves à Modène, Bologne, dans les États pontificaux ; soulèvement de la Pologne, de la Belgique ; la Prusse, l’Autriche, la Russie se sentant menacées, resserrant les liens de la Sainte-Alliance, regardant la France comme le club central de l’Europe, et incapables de distinguer entre la révolution et la liberté ; la royauté de Juillet suspendue entre un assassinat et une émeute, tout semblait conjuré contre la politique de la paix. Et, au milieu de ce chaos, le gouvernement français posait, faisait triompher dans une large mesure un principe qui semblait aux autres puissances une prime d’assurance pour toute conspiration, ce principe de non-intervention, en vertu duquel il prétendait empêcher celles-ci d’envoyer des armées dans les pays voisins de nos frontières, et même un peu plus loin. Intervenir, c’est conquérir, affirmait-il, c’est traiter un État comme s’il était une des provinces de la puissance qui intervient. Or la petite royauté sarde gravitait dans l’orbite de l’Autriche : le roi, le prince de Carignan, la cour, le ministère