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ou officieuses de Barante sont des modèles de pénétration, de littérature politique ; plusieurs même composent de véritables tableaux où, passant en revue institutions, partis, hommes et choses, l’auteur déduit la solution de chaque problème particulier : procédé doctrinaire qui ne laisse pas d’avoir son prix. On regrette toutefois que le sentiment de sa charge, surtout la gravité d’un esprit auquel manquait un certain coloris d’imagination, l’empêchent de rapporter plus souvent des traits de mœurs sociales comme celui-ci :

« La plus grande nouveauté de cette semaine de fêtes (janvier 1831), c’est un bal donné par la noblesse à la bourgeoisie de Turin. En France, et même depuis longtemps, la seule idée d’une telle réunion aurait quelque chose de blessant, et constaterait une différence et une division que les mœurs effacent et que l’opinion repousse. Je ne suis pas très convaincu que la bourgeoisie de Turin sache beaucoup de gré à la noblesse de cette politesse un peu hautaine. Cependant l’intention était sincère et l’effet m’a semblé bon. La fête a été animée, on y était fort bien et fort naturellement mêlé, l’égalité entre les toilettes était complète, et les uns n’avaient pas meilleure façon que les autres. Le roi y est venu, la princesse de Carignan y a dansé... En somme, ce besoin de ménager et d’honorer la classe moyenne, ce sentiment plus ou moins instinctif qu’il faut trouver quelque moyen de transition pour passer à un état de société nouveau, m’ont singulièrement frappé. La bourgeoisie rendra un de ces jours à la noblesse la fête qu’elle a reçue... »

A Saint-Pétersbourg, où le roi l’envoya en 1835, Barante avait surtout à entretenir des rapports d’observation et de conversation diplomatique. Mais, avec un souverain tel que Nicolas, qui ne pouvait pardonner à la France ses sympathies pour la Pologne ; son entente cordiale avec l’Angleterre, qui faisait un crime à la révolution de 1830 de mettre à néant ses projets d’alliance avec Charles X, de réagir contre l’esprit des traités de 1815 et de la Sainte-Alliance, qui, mécontent de n’avoir pu entraîner la Prusse et l’Autriche dans une politique violente contre nous, se vengeait par une altitude malveillante envers Louis-Philippe, par des procédés mesquins et boudeurs, l’ambassadeur, sinon le particulier, eut de mauvais quarts d’heure ù passer. Personnellement, il rencontrait partout le bon visage d’hôte ; son renom littéraire, le charme de sa conversation, agissaient sur le tsar lui-même, qui