plus de finesse peut-être que de justesse, avec plus de verve que de clairvoyance, déjà très préoccupée des problèmes de vie intérieure, de conduite morale[1]. Elle écrit à une de ses amies : « Il nous faut une révolution dans l’intérieur de nos âmes pour nous rendre capables de la liberté, car je suis bien sûre que, tant que nous resterons les mêmes, aucune révolution politique ne nous y conduira. » Plus tard, le mysticisme, la mélancolie prendront la place de la politique ; de celle-ci, elle parlera toujours, et par exemple elle comparera joliment la Chambre, le pays, à un collier de grains de mille couleurs dont on a coupé le fil ; mais elle en parlera comme ferait un historien, un philosophe ; la pensée intime est ailleurs : elle s’était bâti en elle-même un couvent et un tombeau.
Qui s’en étonnerait ? Le mot doctrinaire reparaît souvent sous sa plume : le mot et la chose. « Le général Foy, observe-t-elle, voudrait être le doctrinaire de la multitude... Talleyrand et ses amis me paraissent les doctrinaires de l’intrigue. » Elle n’aime guère ce dernier, se rappelle sans doute que Mme de Staël n’avait pas de plus grosse injure que : « c’est un Talleyrand. »
A Coppet, à Broglie, la société de la duchesse est plus intime : les Guizot, les Barante. Mme de Castellane, les Rémusat, X. Doudan en sont les plus fidèles habitués ; le grand plaisir est la conversation, une conversation très noble, qui arrache cette réflexion à la duchesse : « Il y a, dans le plaisir que nous goûterions ainsi rejoints, quelque chose de si pur, de si élevé, qu’en conscience, cela me semble une jouissance toute spiritualiste, et que, si je
- ↑ Mme de Staël appelait la Suisse : une magnifique horreur : sa fille, au contraire, a le sentiment de la nature, et l’exprime parfois avec bonheur : « J’ai pourtant vu un superbe pays, ce Saint-Gothard est magnifique, c’est une manifestation de puissance et de forces sublimes, une cascade de près d’une demi-lieue sans l’ombre de végétation tout autour, un bruit épouvantable et monotone toujours semblable dans sa violence, et, tout à côté, les neiges éternelles dans leur inaltérable repos. Jamais le vers de M. de Fontanes :
- L’éternel mouvement et l’éternel repos,
- L’éternel mouvement et l’éternel repos,