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énorme production sans en extraire une sorte de Cours de littérature dramatique. Le premier volume vient de paraître. Il sera suivi de six autres[1]. Sous la forme nouvelle où nous les lirons, il est clair que ces feuilletons ne pouvaient manquer de perdre beaucoup de ce qui fit leur succès. Ce qu’on aimait dans les feuilletons de Sarcey, c’était à y trouver Sarcey lui-même et à y apercevoir cette figure joviale qui peu à peu était devenue populaire. Sarcey avait, à un degré remarquable, le mouvement, l’entrain, le don de la vie ; tout cela maintenant est figé. Ces improvisations plaisaient par le ton de bonhomie, par l’aisance d’un style sans apprêt, par la familiarité des interjections, par tout ce qui donnait la sensation d’une conversation de brave homme, causant au coin du feu, à ventre déboutonné. Les souvenirs personnels, les anecdotes y foisonnaient ; on ne pouvait songer à les supprimer ; il est telle histoire de pot de chambre, que Sarcey conte en s’esclaffant, et qui est d’un comique navrant. C’est d’ensemble qu’il faut lire le livre. Sarcey a joui pendant de longues années d’une autorité incontestable et méritée ; il a exercé une influence qu’il s’exagérait, mais qui était réelle ; il n’est donc pas sans intérêt de rechercher ce que valait dans son fond cette critique et quelle en était la portée.

Cette autorité, que Sarcey avait peu à peu conquise, il la devait à un ensemble de qualités des plus estimables, dont la première est à coup sûr la persévérance. C’est une grande force que de durer ; le feuilleton de Sarcey était devenu pour beaucoup de lecteurs plus qu’un divertissement et plus qu’un enseignement : c’était une habitude. D’aller droit devant soi, en creusant le même sillon, c’est le meilleur moyen pour qu’on vous suive. Ceux qui répètent sans se lasser une idée dont ils sont convaincus, il est rare qu’ils ne parviennent pas à l’imposer : c’est la récompense de leur opiniâtreté. Quelle prise un fantaisiste à la manière de J.-J. Weiss peut-il avoir sur le public ? Sarcey n’était pas un fantaisiste. On savait d’avance ce qu’il dirait : il le disait ; on n’était pas déconcerté. Il connaissait le sujet dont il traitait. Il avait vu représenter beaucoup de pièces de théâtre, il en avait lu beaucoup, et de celles d’autrefois. Il possédait avec sûreté le répertoire classique et le théâtre de second ordre des XVIIe et XVIIIe siècles. C’est ici l’important. Le lecteur n’accorde pas sa confiance à ceux de qui les jugemens ne sont pas étayés sur la connaissance du passé : il veut qu’on parte de la tradition pour apprécier et mettre à leur rang les nouveautés : et pour émettre un avis de quelque poids sur Champignol malgré lui ou

  1. Francisque Sarcey, Quarante ans de théâtre (Bibliothèque des Annales politiques et littéraires), 1 vol. in-18.