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façons de penser et de sentir qui ne sont pas seulement la somme des idées et des sentimens de chaque individu. Sur cette simple remarque on a étayé toute une science ; mais quelle est aujourd’hui la constatation banale sur laquelle ou ne s’avise pas de jucher l’édifice d’une science nouvelle ? Quelques-uns, qui sont soucieux de l’indépendance et de l’originalité de leur esprit, ne se prêtent qu’avec méfiance à ce contact avec l’âme de la foule. Sarcey vibrait naturellement avec elle. Cela apparaissait clairement dans ses conférences. Aussitôt le contact s’établissait. Sans y tâcher, l’orateur trouvait aussitôt les choses qu’il fallait dire au public, la manière, le ton, les effets. Il faisait de ce public son confident : il lui contait ses mésaventures personnelles, et ses histoires de famille, il étalait devant lui ses goûts, son humeur, riant avec lui de ces propres ridicules, de son obésité et de sa myopie légendaires. Il n’était complètement à son aise que sous les yeux du public et tout à fait lui-même qu’au milieu de la foule. De l’émotion qui secouait toute une salle était faite son émotion. Du plaisir éprouvé par tous était fait son plaisir personnel. Il portait en lui une âme collective et sentait en commun. par la tout s’explique chez Sarcey : la conception qu’il s’est faite du rôle de la critique ; l’obstination avec laquelle il s’est tenu à une certaine forme du théâtre ; les théories qu’il a émises sur le théâtre considéré dans son essence.

Nous avons tous une tendance à transformer nos dispositions particulières en principes généraux. Sarcey sentait comme la foule : il en conclut que le critique doit sentir comme la foule. Il l’a déclaré en maints endroits et affirmé sans nuances, suivant sa manière : « Le public a des caprices et des engouemens dont quelques-uns ne nous semblent pas fort justes. Ils ont pourtant leur raison d’être, et c’est à nous de la trouver et de l’expliquer. Nous n’avons point à lutter contre ces entraînemens au nom des règles éternelles du beau. Nous sommes la voix de la foule et son premier cri. » « Nous sommes les moutons de Panurge de la critique : le public saute, et nous sautons. Nous n’avons d’avantage sur lui que de savoir pourquoi il saute et de le lui dire. C’est ce que j’ai toujours essayé de faire. Le succès est la règle de ma critique. Ce n’est pas du tout qu’il prouve pour moi le mérite absolu de la pièce. Mais il montre évidemment qu’entre l’œuvre représentée et le goût actuel du public, il y a de certains rapports secrets qu’il est curieux de découvrir. » « Notre métier à nous autres critiques est d’expliquer au public pourquoi certaines choses lui plaisent, quel rapport ces choses ont avec ses mœurs, ses idées, ses sentimens. C’est nous qui dressons les poteaux indicateurs sur lesquels on écrit : Passez