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ne sont pas responsables : la décision prise, elles s’évanouissent, personne ne reste plus là pour répondre de ce qui s’exécute. De plus, elles se décident sous la poussée de la passion du jour, ne tiennent compte que de l’effet direct, immédiat, qu’on touche et qu’on voit, et non de l’effet indirect, médiat, qu’on ne touche pas, qu’on ne voit pas, et qui est pourtant le définitif. Discuter, contrôler, juger, voilà le seul rôle des Assemblées : tout pouvoir gouvernemental, fût-il limité, doit, tant qu’il dure, être personnel, c’est-à-dire responsable et libre de prendre des initiatives. Un pouvoir anonyme et irresponsable n’est qu’une anarchie ou une oppression.

Les Anglais ont, du moins, corrigé, amoindri, sinon tout à fait supprimé ces graves inconvéniens par la procédure intelligente et prévoyante de leur mécanisme législatif et par leurs fortes mœurs publiques. Les hommes d’Etat qui ont importé chez nous le nom de parlementarisme n’y ont pas introduit en même temps ses contrepoids protecteurs. Aussi médiocres constructeurs politiques qu’ils furent éminens écrivains et orateurs, ils nous ont dotés, pour notre malheur, de ce mécanisme bruyant et essoufflé, impuissant et brouillon, qui, chaque fois qu’il a fonctionné, a donné au pays la nausée de la liberté.

Les Anglais ont admis l’inviolabilité royale : « Le roi ne peut pas mal faire. » Mais ils se sont gardés d’en conclure la nullité royale. Ils n’ont jamais contesté au souverain le droit d’examiner toutes les affaires, d’exprimer son avis, d’essayer de le faire prévaloir par le changement des ministères, l’atermoiement des sanctions : ils n’exigent sa soumission au Parlement qu’en dernier ressort, s’il n’a pas réussi à le convaincre. Chez nous, on a traduit l’inviolabilité royale en cette maxime : le roi règne et ne gouverne pas. Il sera un pantin entre les mains des ministres, signant, approuvant, semblable, suivant l’image d’un des souverains qui remplit le mieux ce rôle de roi constitutionnel à la française, semblable à un piano qui par lui-même ne donne aucun air, et sur lequel chacun joue l’air qu’il veut.


V

Je ne me suis jamais proposé de rétablir ce détestable parlementarisme, ni de convertir Louis-Napoléon en un être Louis-Philippe, ni de devenir le doctrinaire de la majestueuse imbécillité