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tout ce qui n’est pas l’exécution pure et simple des lois de l’État. Quelques petits cantons suisses procèdent encore de la sorte.

Mais, cette intervention directe du peuple étant incompatible avec la multiplicité et la gravité des affaires dans un grand État, on a été amené, aux États-Unis, à établir dans les grandes communes un maire et un conseil municipal divisé en deux branches, et dans tous les États libres, on a institué le système représentatif, dont le régime parlementaire est une variante. Le peuple ne statuera plus directement, il choisira des représentans qui parleront et agiront en son nom, auront un droit propre, et il n’appartiendra pas plus au peuple qui les a élus d’en réglementer l’usage par un mandat impératif qu’à un ministre de la justice de dicter ses arrêts au juge qu’il a nommé. Le représentant n’aurait même aucun compte à tenir des intentions réelles ou supposées de ses électeurs, s’il n’était obligé de ne pas trop les froisser, afin d’en obtenir le renouvellement de ses pouvoirs[1].

Cette abdication complète de la souveraineté a paru tellement destructive de la souveraineté elle-même, que les législateurs populaires ont établi en maxime que le droit du peuple est violé chaque fois qu’on lui fait faire par représentation ce qu’il peut faire lui-même. Trancher les questions constituantes pouvant être fait directement, la Convention, à sa première séance, a décidé qu’il n’y a pas de Constitution, si elle n’a été acceptée par le peuple[2]. Depuis, d’autres ont proposé que le plébiscite fût étendu à des sujets d’un intérêt général et dont la solution importait à la paix publique. Louis XVI réclama l’appel au peuple, qui eût certainement sauvé sa tête. En 1815, Talleyrand fut tenté de demander à un plébiscite la solution gouvernementale. Duchâtel, un des ministres les plus perspicaces de Louis-Philippe, regrettait qu’on n’y eût pas eu recours en 1830. En 1860, Prévost-Paradol, quoique imbu jusque dans les moelles des préjugés parlementaires, dont le premier était l’horreur de l’appel au peuple, s’écriait : « A la place de l’Empereur, bien des gens seraient tentés de se tirer d’affaire par un plébiscite et de dire une fois pour toutes au peuple français : — Que faut-il faire ? Voulez-vous que j’évacue Rome ou que je fasse signe au Piémont de reculer et que je rende au Pape tous ses Etals ? — C’est peut-être le seul moyen de sortir

  1. Tocqueville, L’ancien régime et la Révolution, p. 91. La Démocratie en Amérique, t. Ier, p. 96. — Émile Ollivier, 1789 et 1889, p. 504.
  2. 22 septembre 1792.