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inévitables ; que la responsabilité ministérielle, en l’exonérant des fautes qui n’étaient pas les siennes et en organisant la mobilité publique, augmenterait sa stabilité personnelle, enfin qu’un Napoléon issu des votes populaires, investi du pouvoir d’interroger la nation directement, n’avait, s’il ne se jetait lui-même par la fenêtre, à redouter, même au jour des infidélités de la fortune, ni les manèges d’une assemblée, ni les violences de la presse, ni les complots des anciens partis.

Je me décidai à l’entreprise avec la certitude du succès. Je ne me dissimulais pas le long et difficile labeur auquel j’allais me condamner, la force et le nombre des adversaires que je devrais affronter. Le mot Empire exaspérerait les monarchistes et les révolutionnaires, le mot libéral déchaînerait le parti autoritaire, maître du gouvernement et des places, sans me rapprocher tout à fait des sages, qui mettaient la liberté au-dessus des formes de gouvernement, car leur thèse était qu’en dehors de la restauration du mauvais parlementarisme français, il n’y aurait pas de liberté.

Je n’étais pas même certain d’entraîner tous les Cinq à passer de la première étape : le serment, à la seconde : l’opposition constitutionnelle, loyale, sans arrière-pensée subversive. Le décret du 24 novembre ne leur inspirait ni la même satisfaction ni le même espoir qu’à moi. Darimon se donnait l’air d’en médire ; Jules Favre ressassait les rengaines incrédules des vieux républicains qui l’entouraient au Palais et dont l’encens l’enivrait ; Hénon, quoique écrivant à l’Empereur pour lui demander des grâces, demeurait irréconciliable ; Picard en revenait à son mot habituel : « Défions-nous. » Je m’exposais, les câbles coupés de tous les côtés, à me retrouver plus seul qu’au jour où je prêtais le serment. Tout cela m’était indifférent, si je ne perdais pas l’amitié de Picard. Pour l’amener à la politique que j’allais suivre, pour le faire revenir de ses défiances, je ne brusquai rien, je n’accentuai pas mon contentement, j’attendis l’occasion.

VI

Persigny, en sa qualité de ministre de l’Intérieur, était plus particulièrement chargé de caractériser par l’application la portée véritable des décrets. Il fit patte de velours dans une circulaire aux préfets, recommandant « de travailler à la réconciliation